Festival Pause Guitare Sud de France, Prix Magyd Cherfi, Adélys – 2022 (© Claude Fèvre)
Du 8 au 10 juillet 2022 – Prix Magyd Cherfi
Avec
Jour 1 Hyl, Baron.e, Lula Heldt, Miro
Jour 2 Adélys, Valso, Pandore, Antoine Henaut
Jour 3 Lise Martin, Luciole, Leopoldine, Fil de nerfs
L’Athanor – Albi (Tarn)
Festival indépendant d’Occitanie, Pause Guitare vient de refermer sa 26ᵉ édition… Tout ce que la musique compte de célébrités, « déluge de stars et de décibels » lit-on dans le hors série gratuit de FrancoFans – un seul exemple, le premier soir, Gaël Faye, Juliette Armanet, Mika et -M- ! – se succédaient sur la grande scène de Pratgraussals… Mais réduire ce festival à ces grands rassemblements, ordonnés par thème (Chanson française pendant deux soirées, rap, électro, et, pour la première fois, métal !), serait faire injure au déploiement d’énergies pour satisfaire tous les goûts musicaux, tous les styles, tous les publics, tous les espaces et surtout les envies de découvertes… La ville vit au rythme du festival au Jardin National, Place du Vigan avec la scène « talents de quartier », dans les bars, au Grand Théâtre, à l’Athanor où se déroulent les Québécofolies et le tremplin Prix Magyd Cherfi… et même hors les murs, notamment au désormais célèbre café Plùm de Lautrec.
On ne s’étonnera pas de nous voir accorder un moment privilégié au déroulement de la 3ᵉ édition de ce qui est dorénavant nommé Prix Magyd Cherfi. Incontestablement, ces après-midis de concerts Chanson francophone sont devenus une vitrine pour les artistes sélectionnés qui ont le privilège de jouer 30 min devant un parterre de professionnels. C’est aussi, il va sans dire, une compétition générant un stress singulier. Tout comme pour les découvertes du regretté Festival Alors Chante de Montauban, c’est l’occasion de s’interroger sur ce qui prévaut à la sélection de tel ou tel projet… N’est-ce pas trop tôt pour celui-ci, ou celle-là – un passage prématuré ne peut-il pas nuire et compromettre une progression ? – N’est-ce pas « trop tard » pour celui ou celle qui a déjà fait ses preuves depuis belle lurette, et acquis, de fait, une certaine notoriété dans ce microcosme de « la chanson d’Art et Essai », pour employer l’expression chère à Jean-Claude Barens. Citons pour exemple Lise Martin ou Léopoldine HH – on sait ici que nous leur avons consacré souvent notre plume enthousiaste !
Ces remarques préliminaires ne nous empêchent pas de saluer les douze projets et leur incroyable diversité où, toutefois, on peut déceler de fortes tendances. Nous titrons « Des écrits aux cris »… Ces mots sont de Luciole qui, en ouverture de son spectacle, s’avance dans l’ombre sur une succession de cris, d’appels, d’échos, et qui ne cessera d’inviter le public à lâcher ses cris… Message reçu ! Cette jeune femme radieuse en scène déroule chansons et slams en conquérante, elle « danse la tempête » et c’est avec elle que nous avons eu envie de souligner cette force qui va dans cette jeune génération.
Bien sûr la Chanson, toujours à l’écoute des mouvements, des idées de son temps, ne peut, bien longtemps rester, en deçà des combats. Pandore est de ceux qui nous paraissent lutter et se battre contre des démons, contre ses fleurs du Mal, celles que réveillent inévitablement, de décennie en décennie, une humanité confrontée à sa destinée tragique… Un climat baudelairien règne de bout en bout, « la vie ça fait trop mal parfois »… Et nous avons observé l’expression douloureuse qui s’imprime sur le visage de ses deux musiciens. Décidément noir c’est noir…
C’est aussi l’occasion de souligner la place accordée cette année au violoncelle, cet instrument capable de toutes les nuances de la voix humaine et singulièrement sollicitée pour s’emporter, nous emporter… Commençons par rappeler la place toute particulière que lui accorde seule en scène Lula Heldt qui fait de son instrument, dont elle joue debout, le prolongement des battements de son cœur, comme le tempo de son monde intérieur qui bouillonne… Avec Pandore, Lise Martin, Vaslo, la passion vibre de bout en bout, habite les instrumentistes qui semblent parfois proches de la transe… Et on aime ça !…
On résiste peu aux partages de sentiments, des expériences que l’on devine authentiques : la compassion dans certaines chansons de Lise Martin ou de Fil de Nerfs – ses 30 min ont été une immersion dans des rencontres bouleversantes, loin d’ici, dans des terres où l’on tyrannise l’expression artistique – On résiste peu à la fantaisie, la joie de vivre et d’être en scène, aux sourires, à la complicité qui se crée d’emblée comme avec Antoine Hénaut qui va jusqu’à nous offrir son talent d’équilibriste, le manche de sa guitare sur le menton… Et nous avons pu constater que la générosité d’HYL s’exprime avec la même force hors scène, lui qui ne cesse de remercier la vie et tous ceux qui l’accompagnent dans ses choix. Quelle chance, dit-il, de se lever matin pour faire ce que l’on aime par-dessus tout.
Mais on aimerait surtout souligner que cette session 2022 du Prix Magyd Cherfi nous a proposé des femmes qui s’emparent de la scène comme d’un ring, à la façon de La boxeuse d’Arthur H. Au-delà de l’incontestable talent du magnifique trio de Vaslo déjà tant de fois primé tous ces derniers mois, on aurait apprécié que le jury de professionnels accorde une place à cette liberté de parole, cet élan qui se dégagent incontestablement de cette génération de femmes, qu’il fasse un signe… Adélys, longue femme en ciré jaune, jouant de son tabouret sur roulettes, puis se lançant dans une véritable chorégraphie, osant l’avant-scène, tout près des spectateurs, nous aurait paru particulièrement mérité ce geste d’accompagnement à sa toute jeune carrière… On retiendra sa phrase « J’ai pas envie que tu me dises ce qu’il a mon corps … » Voilà qui est dit, bien dit ! Lise Martin, droite derrière son micro, comme pouvait l’être l’inoubliable Juliette Greco, use de sa puissance vocale et l’on ne peut résister à l’émotion de textes profondément humains. La beauté de son quartet nous laisse définitivement sous le charme. Quand Luciole chante « Je me noue à vous », on se dit que c’est bien là la puissance du spectacle vivant, ce lien invisible entre la salle et l’artiste. Le moyen d’y parvenir diffère, et nous restons libres de se laisser prendre au jeu ou pas… Nous avons tant aimé, une fois encore, l’audace, la démesure, l’amour du jeu, de l’inouï, de la fantaisie sans limites de Léopoldine. Pas étonnant que le public l’ait plébiscitée !
** Nous n’avons pas pu assister à l’acte I de ce Prix Magyd Cherfi. Nous avons pu nous entretenir avec seulement deux d’entre eux. Que l’on veuille bien nous pardonner.
Une fois de plus, vos chroniques sont un beau partage ! Merci d’attirer notre attention sur tous ces talents.
Un immense merci à vous de venir ainsi donner du sens à ces chroniques ! Claude Juliette