Anne Sylvestre & Garance - Hexagone – couverture, n°1  (©David Desreumaux)

Anne Syl­vestre & Garance – Hexa­gone (cou­ver­ture) n°1 (© David Desreumaux)

30 novembre 2020 – Décès d’Anne Syl­vestre

Par­lez-moi de maintenant… 

Avec

Radio Mar­mite FM 88.4, Le temps ne fait rien à l’affaire, 141ème, 4 épi­sodes d’une heure, Février 2018

Anne Syl­vestre et par ordre d’apparition dans l’entretien : Michèle Ber­nard, Manu Galure, Nico­las Bac­chus, Gérard Morel, Ber­nard Joyet, Garance, Mèche, Cel­lo Woman, Lily Luca, Fla­via Per­ez, Amé­lie-les-Crayons, Yves Jamait, Agnès Bihl, Rémo Gary


Deux semaines déjà… Les hom­mages ont défer­lé. Pen­dant des jours et des jours, jour­naux, radios, chaines de télé­vi­sion, et sur­tout, sur­tout, amis proches, inter­nautes et spec­ta­teurs fidèles, n’ont ces­sé de témoi­gner sur les réseaux sociaux de leur admi­ra­tion pour Anne Syl­vestre. On pour­ra rete­nir le por­trait de Fran­çois Morel le 4 décembre sur France Inter : « C’était une per­sonne de pas­sion, de rire, de colère, de tris­tesse, de paroles, de musiques, de chan­sons, exi­geante, intran­si­geante, dont le por­trait serait for­cé­ment incom­plet si, en le dres­sant, on oubliait le mot « digni­té ». Ou bien ceux de Yan­nick Pirot pour Les Bains-Douches « Autrice, com­po­si­trice, inter­prète, « écri­vain public » et « sor­cière comme les autres », créa­trice des « Fabu­lettes », chan­teuse exi­geante et géné­reuse, mali­cieuse et déter­mi­née, fémi­niste et vision­naire, pont entre la chan­son tra­di­tion­nelle et les relèves suc­ces­sives de la chan­son fran­çaise, Anne Syl­vestre ne sau­rait être résu­mée ». Dif­fi­cile, on le recon­naî­tra, d’ajouter sa touche per­son­nelle sans ris­quer l’insignifiance voire la mièvrerie.

Pour­tant, nous aime­rions lui rendre hom­mage à notre tour en met­tant au pas­sage en lumière le rôle des sta­tions FM dans la vie de la Chan­son, par ailleurs pas­sa­ble­ment igno­rée des grands médias. C’est Radio Mar­mite FM 88.4, offrant pas moins de quatre heures d’entretien et de chan­sons en février 2018, qui nous a sug­gé­ré cette page. Anne Syl­vestre y est sol­li­ci­tée pour choi­sir dix chan­sons, pour une heure seule­ment… Bien enten­du elle déborde lar­ge­ment, en sug­gère beau­coup d’autres… Le ton est à la spon­ta­néi­té, la légè­re­té, la fran­chise… C’est un échange ami­cal. Au final le pré­sen­ta­teur Jean-Fran­çois qui bavarde avec elle après ses 60 ans déjà, fini­ra par mon­ter quatre émis­sions de ses chan­sons et de ceux qu’elle nomme « Les gens que j’aime… mes amis… ».

S’offre alors à nous, au fil des remarques, des com­men­taires, un pré­cieux manuel d’écriture de chan­sons – même si elle refuse d’être théo­ri­cienne – et un extra­or­di­naire flo­ri­lège de ce que la Chan­son d’aujourd’hui pro­pose de meilleur. Car pas ques­tion pour elle de s’appesantir sur autre­fois – l’occasion d’égratigner Léo Fer­ré qu’elle n’aime pas, « Il y a des choses qui ne passent pas » et sa chan­son Avec le temps – de s’attarder sur les caba­rets dont on veut à toute force la faire témoi­gner. Bien sûr elle en nomme quelques uns, notam­ment la bande de copains du Che­val d’or, le départ au ser­vice mili­taire de Ricet Bar­rier qui lui pro­cure l’opportunité d’y chan­ter. Mais aus­si­tôt elle réplique : « Par­lez-moi de main­te­nant »…Et de rendre un hom­mage appuyé au cou­rage dont font preuve les jeunes… « La Chan­son va faire son che­min… Il y a toute une bande dans le maquis… Par­tout en France, une tonne de gens qui ne seront jamais des vedettes mais qui feront le bon­heur des gens… Chez eux, dans un salon, dans une grange… Si je com­men­çais, je ferais du slam, du rap… »

Anne Syl­vestre nous confie avec une joie per­cep­tible et une sim­pli­ci­té désar­mante son pan­théon… Elle com­mence par « ce qu’il y a de mieux, bien au des­sus du panier, l’évidence même », sa chère Mimi, à savoir Michèle Ber­nard. Quand elle la découvre, un jour où elle était en colère qu’on lui ait impo­sé une pre­mière par­tie, elle ne la « lâche­ra plus »… Elle dit aus­si sa grande admi­ra­tion pour Ber­nard Joyet celui avec lequel elle se sen­ti­rait en « jalou­sie »… « On se fait des sur­prises d’écriture »… Sa chan­son de jeu­nesse, Vingt ans ? « Un joyau d’écriture » …Et Ber­nard de lui écrire « ton chant sillonne dans mes friches… C’est de l’encre pour mon mou­lin »… Deux géants ! Et bien enten­du c’est aus­si à Yves Jamait qu’elle rend un hom­mage très appuyé. Elle se dit fière d’être l’un des piliers du « Bar à Jamait » avec Gérard, Ber­nard, Agnès… « Un per­son­nage magni­fique, quelqu’un d’une géné­ro­si­té, d’une richesse inté­rieure » à qui elle voue « une immense ami­tié, et une admi­ra­tion… » A ces trois là, on peut joindre son « coup de foudre » pour Manu Galure, « riche de toutes sortes de pos­si­bi­li­tés », auquel elle asso­cie « un autre copain » aus­si­tôt Nico­las Bac­chus. De leur duo Fon­taine, elle dit « C’est une mer­veille. »

On ne s’étonnera pas que c’est en évo­quant son rôle de femme chan­tant ses propres chan­sons, son rôle de pion­nière qu’elle en vient à la cohorte de jeunes chan­teuses d’aujourd’hui. Elle dit plu­sieurs fois que, pen­dant des siècles, les femmes ont chan­té des réper­toires d’hommes, ou bien ce que les hommes avaient envie d’entendre, et de faire alors la liste : la mal mariée, la pute, la fille de bar… ce qu’elle qua­li­fie de « chan­sons épou­van­tables ».

Celle qui vient en tête, celle qui sans aucun doute lui évoque le plus ses débuts, appa­raît sur la cou­ver­ture du n°1 du maga­zine Hexa­gone (Sa deuxième cou­ver­ture de maga­zine après Paroles et Musique, avant que celle, post­hume, de Télé­ra­ma, ne les ait rejointes…) « Chère petite Garance », dit-elle, sou­li­gnant « une ligne très droite, comme une flèche… » Elle cite­ra ensuite Mèche – avec tou­jours la même dis­cré­tion sur leur filia­tion – son ori­gi­na­li­té, sa poé­sie, son accom­pa­gne­ment à la gui­tare élec­trique… Cel­lo Woman /​Katrin’ Wald­teu­fel, « l’une de [s]es petites cama­rades de chan­son », avec son vio­lon­celle, « comme une per­sonne »… Lily Luca qui l’impressionne par son assu­rance en scène. Elle dit avoir été « fou­droyée » quand elle l’a décou­verte… Une chan­son comme T’es où la pétri­fie… Fla­via Per­ez dont elle « aime beau­coup ce qu’elle dégage », dont elle évoque la place à Péze­nas… Elle s’enthousiasme, sans cal­cul aucun, lorsqu’elle évoque la « grâce incar­née » d’Amé­lie-les-Crayons, « une fée ». Enfin bien sûr, celle qu’elle nomme sa « petite sœur en chan­son », avec laquelle, « à coups de rosé et de frites », elle dis­cute chan­sons : Agnès Bihl. Et c’est alors l’occasion pour elle de par­ler de l’humour, une « arme posi­tive » sans laquelle cer­taines choses ne pour­raient être dites. Elle se met à rire fran­che­ment quand elle évoque Gérard Morel, leur par­tage fra­ter­nel autour du réper­toire de Roger Rif­fard.

Au fil de toutes ces admi­ra­tions, ces hom­mages, se des­sine un art poé­tique, mais aus­si une par­faite conscience de la force et de l’excellence de son réper­toire. Elle s’agace net­te­ment à l’évocation des reprises, tou­jours les mêmes, même si elle avoue qu’elles lui tiennent chaud… On devine ce qu’elle attend d’une chan­son dans ce qu’elle dit avec ten­dresse de Remo Gary, « Un escroc : il arrive comme ça, et il explose tout »… Elle salue une chan­son, « Des coups de pied au cœur », une chan­son très tendre, assez simple pour être uni­ver­selle. Tout l’art de la chan­son est ain­si résu­mé : sim­pli­ci­té, uni­ver­sa­li­té. Et sur­tout, pour elle, une chan­son « ça se déroule »… Elle ne cesse de répé­ter, même quand il s’agit de chan­sons que l’on qua­li­fie­rait d’engagée, qu’elle « raconte une his­toire ».

Cet entre­tien s’achève sur ces mots :

  • Pour tes 70 ans de chan­sons, que feras-tu ?
  • L’avenir on ver­ra… On cher­che­ra le pont quand on sera à la rivière.