Haïku -  J-Y. Liévaux / Peinture V. Cayol (©Alcaz’)

Haï­ku – J‑Y. Lié­vaux /​Pein­ture V. Cayol (© Alcaz’)

09/​11/​2020 – Deuxième vague – Jours 1 à 10

Ouvrir ensemble l’é­cran de nos fenêtres – #1

Avec les publi­ca­tions de
Alcaz’ /​J.Y Lie­vaux & Viviane Cayol – Jean-Claude Barens – Lise Mar­tin – Thi­baut Defe­ver – Jack Simard – Eric Fra­siak – Lou Casa – Cathy Fer­nan­dez – Fré­dé­ric Bobin – Eric Mie


Ouvrir ensemble /​l’é­cran de nos fenêtres /​Recon­fi­ne­ment

Haï­ku d’pein­ture – 139 – Haï­ku J‑Y. Lié­vaux /​Pein­ture V. Cayol (Pas­tel sur papier 27 x 18)

Ils sont deux, l’un écrit, l’autre peint, chaque jour, en atten­dant que revienne le temps de la route, le temps des départs, le temps des concerts… Voi­là que ces visages der­rière ces vitres nous disent : deuxième vague, deuxième vague de mesures qui nous fendent le cœur quand elles musellent ceux qui font la courte échelle à nos rêves, à notre besoin de par­tages, les poètes, les trou­vères, les chan­teurs, les comé­diens et tous ceux qui les hissent jusqu’à nous. Alors ouvrons ces fenêtres, ain­si que nous y invite le couple Alcaz’ et par­ta­geons un peu de cet air qui arrive par bouf­fées jusqu’à nous.

Ecou­tons d’abord s’exprimer l’ardeur de l’un des plus fidèles pas­seurs de cultures, Jean-Claude Barens : « Arri­ver à se pro­je­ter, même dans l’in­cer­ti­tude, affir­mer haut et fort que le spec­tacle vivant tient une place ESSENTIELLE dans le par­tage des savoirs, des émo­tions, des inter­ro­ga­tions. Qu’il est là, vivace et prêt à bon­dir. Prêt à occu­per l’es­pace. Demain, après-demain, dès que pos­sible. Affai­bli mais com­bat­tif. Pas prêt à se lais­ser gagner par une info­bé­si­té mor­bide… » Et Jean-Claude de pas­ser immé­dia­te­ment aux actes en publiant jour après jour la pro­gram­ma­tion de L’Emoi des mot, fes­ti­val lan­dais de l’association L’Atelier du Mot. Pour com­men­cer, dès Février 2021 : Wal­ly, Pou­li­dor by Laborde, André Le Hir dans Alphonse, une his­toire d’amour, Les C0P(i)NES, Patrice Mer­cier & Mis­sonneIl ne manque pas non plus de nous diver­tir avec ses vignettes humo­ris­tiques dont il a le secret. Savou­rez son « Klimt and Colette » ou « Nonnes (pho­to à l’appui bien sûr !)… et sans ciel ». Et que dire de ses annonces, comme autant d’expressions de l’insatiable besoin de cultures du direc­teur artis­tique de Bar­jac m’en Chante : la publi­ca­tion d’un petit recueil de poèmes com­po­sés par les enfants de l’école de rug­by de Pey­re­ho­rade (40), la pré­pa­ra­tion et l’appel à sou­tien du futur album de Véro­nique Pes­tel consa­cré à la poé­sie de Louis Ara­gon, la créa­tion d’un nou­vel évé­ne­ment Le Grand Maul, des « bras­sages inat­ten­dus » à la croi­sée du rug­by et de la lit­té­ra­ture du 17 au 20 juin 2021 à Saint-Paul-les-Dax.

Beau­coup n’ont pas été aus­si prompts à l’annonce de ce nou­veau coup d’arrêt asse­né à la culture… Comme le dit Lise Mar­tin, il a fal­lu « un temps pour se remettre des émo­tions, per­tur­ba­tions, confu­sions, décep­tions… ». On a bien sen­ti ce temps là néces­saire à ceux qui viennent de sor­tir un album, à ceux qui pré­ci­sé­ment attendent la date d’une sor­tie offi­cielle en novembre… Thi­baud Defe­ver en pleine pro­mo­tion de son petit der­nier Le temps qu’il faut avec le WELL Quar­tet, jour après jour, publie pour en assu­rer la pro­mo­tion accom­pa­gnée des superbes pho­to­gra­phies de Maï­wenn Le Guhen­nec. On a vu le vos­gien Jack Simard, auteur, chan­teur inter­prète, sans conces­sion, à la puis­sance com­pa­rable à celle d’un Jacques Brel, d’un Jéré­mie Bos­sone ou d’un Valé­rian Renault… On l’a vu cette semaine se conso­ler de l’annulation de son concert du 5 novembre en offrant au pia­no une vidéo spon­ta­née, chez lui, de Demain il fera jour, chan­son de son nou­vel album Nu, enre­gis­tré au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul en juin der­nier. Des mots résonnent sin­gu­liè­re­ment : « Pince moi fort et dis-moi que tout ça n’est qu’un mau­vais rêve /​Serre moi fort et dis-moi qu’un nou­veau jour se lève… » On a aus­si reçu le der­nier né du lor­rain Eric Fra­siak (encore un infa­ti­gable !), le deuxième album consa­cré à son « maître à chan­ter » Fran­çois Béran­ger. 17 chan­sons – excu­sez du peu ! – enre­gis­trées dans son stu­dio avec une dou­zaine de musi­ciens, dont ses fidèles Benoît Dan­gien, au pia­no, orgue, cla­viers et Jean-Pierre Fara à la gui­tare élec­trique, dont on recon­naît les riffs magis­traux, et un invi­té de choix, Steve Nor­man­din à l’accordéon… Cette belle équipe assure la por­tée rock and blues de chan­sons qui gardent leur dou­lou­reuse actua­li­té quand elles s’en prennent aux bas­tions des puis­sants, à la misère, à la des­truc­tion de la beau­té, mais sur­tout quand elles des­sinent en fili­grane le por­trait de l’artiste en proie au doute, vic­time d’un show –biz sans pitié, le por­trait d’un homme tendre, rêveur et fra­ter­nel : « C’est bon et doux les autres ». Des chan­sons essen­tielles en somme.

Enfin, au nombre des concerts de sor­tie d’album sacri­fiés, on ne sera sans doute pas éton­né que nous nous arrê­tions à celui de Lou Casa pour son Bar­ba­ra & Brel, sous-titré « des échanges, de pré­sences et d’absences ». En 2016, Marc Casa nous avait sai­sis avec son inter­pré­ta­tion de Bar­ba­ra, se dis­tin­guant de quan­ti­té d’autres par sa voix, sa sil­houette, son accom­pa­gne­ment ryth­mique du tom basse. Nous écri­vions alors « On aime­rait pou­voir évo­quer chaque geste, chaque mou­ve­ment des mains qui s’ouvrent ou se ferment, les bras qui se tendent, les voca­lises, la voix qui mur­mure presque, les silences aus­si, les sou­rires géné­reux, les regards, et ce talent pour offrir aux chan­sons une chute, une fin sou­vent éton­nante … » Mathieu Amal­ric ne s’y était d’ailleurs pas trom­pé en invi­tant Lou Casa dans la scène finale de son film consa­cré à Bar­ba­ra. Dans ce nou­vel album tou­jours mini­ma­liste (pia­no, basse, per­cus­sions) il pénètre encore davan­tage la vie inté­rieure de Bar­ba­ra en s’attachant à son amour pour Jacques Brel, en en sou­li­gnant la cohé­rence à tra­vers ses confi­dences dans ses Mémoires Inter­rom­pus, à tra­vers leurs chan­sons res­pec­tives, avec en point d’orgue sa superbe lettre à Jacques Brel : Gau­guin. Bar­ba­ra et Jacques Brel sont ici réunis parce que leurs chan­sons déli­vraient une image abso­lue, entière, voire mor­ti­fère de l’amour, parce que l’amitié n’en était pas le pâle reflet, mais peut-être plus sûre­ment l’aboutissement, enfin parce qu’elles se nour­ris­saient de la com­pas­sion pour l’humanité. Cet album acces­sible dans quelques jours nous res­ti­tue la force et la beau­té de deux chan­teurs immenses et de leur ren­contre par delà l’absence… D’ailleurs ils ne sont jamais par­tis. D’ailleurs ils chantent encore…

On note­ra sans mal que, pour ces deux der­niers albums, il est ques­tion de reprises. C’est sans doute l’un des constats les plus sûrs de ces fenêtres ouvertes pen­dant le confi­ne­ment : la défense et illus­tra­tion du patri­moine de la chan­son. Il fut un temps, pas si éloi­gné, où les inter­prètes de reprises n’avaient plus vrai­ment la consi­dé­ra­tion des « experts ». On indi­que­ra le retour de Lise Mar­tin et de ses chan­sons d’amour…En gros plan fixe, avec le plus sou­vent son uku­lé­lé, habillée de son sou­rire et de sa voix recon­nais­sable entre toutes, elle a choi­si, pour la semaine écou­lée, Georges Mous­ta­ki (Hiro­shi­ma), Fran­cis Cabrel (Tout le monde y pense) Jacques Brel (La Quête) Jean-Jacques Gold­man (On ira)… On retrouve aus­si avec tel­le­ment de plai­sir la dou­ceur de Cathy Fer­nan­dez /​Cathy Cathe­rine sur Face­Book, au moment où, pri­vée de concert hom­mage à Jean Fer­rat avec son com­plice Michel Vivoux, elle inter­prète J’aimerais tant te par­ler tendre de Julos Beau­carne, une chan­son qui nous enseigne le silence et le goût de prendre le temps de dire « je t’aime ». Enfin, on parie­ra volon­tiers que nom­breux seront ceux qui guet­te­ront chaque soir la chan­son inter­pré­tée par Fré­dé­ric Bobin, « avec sa vieille gui­tare à cordes nylon », les che­veux légè­re­ment en bataille, dans la sim­pli­ci­té qu’on aime retrou­ver en lui et ce res­pect des auteurs. Il prend en effet la peine d’ajouter l’intégralité du texte. C’est ain­si que l’on peut l’entendre inter­pré­ter Alain Sou­chon (On s’cache des choses), Mano Solo (Au creux de ton bras) Ber­nard Lavilliers (L’Espoir), Yves Simon (Les Gau­loises Bleues), Emi­ly Loi­seau (L’autre bout du monde), Char­lé­lie Cou­ture (L’histoire de Ber­nard)…

Ter­mi­nons ce flo­ri­lège très per­son­nel, sur un clin d’œil tendre et joyeux, celui que nous offre régu­liè­re­ment Eric Mie – « gui­gnol, trou­vère ou rêveur » – sur une page de son car­net où il croque sa Pomme, déli­cieu­se­ment ronde, polis­sonne et dévê­tue. Pour vous la pré­sen­ter, si vous ne la connais­sez pas encore, disons que son cul ferait une concur­rence déloyale à celui de la sœur de Ber­nard Dimey ! Notons qu’Eric Mie est en plein enre­gis­tre­ment d’un futur album nom­mé Rural

Pour les mots de conclu­sion que nous lui emprun­tons, Pomme a revê­tu une com­bi­nai­son pan­ta­lon, un rouge du plus bel effet : « Résis­tons aux extra­va­gances /​Au flot d’âneries et d’arrogances /​Aux machi­ne­ries, mani­gances /​Mais tou­jours avec élé­gance… »