Rémo Gary (© André Hébrard)

Rémo Gary (© André Hébrard)

16 juillet 2015 – 11e Ren­contres Marc Robine, On connaît la Chanson

Concert de Rémo Gary

Avec Rémo Gary, Joël Clé­ment (pia­no), Arnaud Lau­ras et Natha­lie Fortin


La Mus­cade – Blan­zat (Puy-de-Dôme)

Bien sûr, il fal­lait s’y attendre. Hier fut un grand soir. Un soir de « mots nou­veaux de pre­mière ten­dresse », de ceux qui nous arrachent au temps, le cam­briolent, tissent les émo­tions de l’Art, du grand Art : ça cogne dur sous la peau, là, juste à la place du cœur !

Bien sûr on peut pro­saï­que­ment pré­ci­ser que Rémo Gary inau­gu­rait son micro serre-tête pour plus de liber­té du corps, des gestes, des dépla­ce­ments. Sa pré­sence n’en était que plus bouleversante !

Bien sûr, on peut aus­si pré­ci­ser qu’il annon­çait sa confé­rence « poé­li­tique » à venir, en emprun­tait de larges extraits posés sur son pupitre, gar­dant tout au long cette veine huma­niste et poé­tique qui habite sa créa­tion. Du lyrisme, il élève les mots dans leur chair vivante au souffle épique.

Obs­ti­né­ment il nous trans­porte dans ses vers, invite à « rede­ve­nir poé­ti­que­ment révo­lu­tion­naire », à « inven­ter le petit matin, pas cha­grin du tout » car, mal­gré les pro­phètes de l’apocalypse, « nul ne pour­ra demain nous inter­dire le jas­min. »

Et nous savons que ce qu’il pro­pose en scène se situe bien au-delà de Chan­son. Ce fut déjà dit, écrit. Alors que nous reste-t-il à écrire ?

On se hasarde à ris­quer un clin d’œil à l’animateur infa­ti­gable d’atelier d’écriture que Rémo est aus­si. La consigne de l’exercice consis­te­rait à écrire un texte à par­tir de sa dis­co­gra­phie complète.

C’est par­ti ! Jouons tant qu’il est encore temps.

Il y avait un petit homme « pirouette cacahuète »

Il y avait un petit homme qui n’en finis­sait pas d’écrire. Dans ce qu’il avait défi­ni­ti­ve­ment nom­mé Le petit jour­nal, il empi­lait les mots, les assem­blait en des figures étranges. Des petits sans façons, des gros rigo­los, des gais lurons, des tristes comme la pluie, des empê­cheurs de tour­ner en rond, qu’importe, tous les mots pou­vaient faire l’affaire. Mais sa par­ti­cu­la­ri­té c’est qu’il avait depuis long­temps déci­dé de jeter l’encre par-des­sus l’encrier, la gomme ron­gée et le sty­lo avec. Les mots dont il se fai­sait des col­liers, des bra­ce­lets, res­taient dans sa tête. Il se moquait bien des idées reçues sur la ques­tion même si autour de lui s’empilaient des quan­ti­tés de bou­quins. Il s’en était fait un rem­part contre tous les han­di­ca­pés du cœur et de la ten­dresse, contre tous ces êtres même pas fou­tus d’être heu­reux.

À l’aurore à peine levée, le petit matin, de cette for­ti­fi­ca­tion s’élevait l’appel du petit large, celui que l’on entend quand on veut bien prê­ter atten­tion. Un souffle, pas même épique, poé­tique seule­ment. Ça vous fait comme un air frais, une brise légère et sucrée qui vous offre juste ce qu’il faut pour s’embarquer sans bou­ger de sa chambre.

Le petit homme s’était fait une pro­messe. C’était son desi­de­ra­tum intime, secret : quand le monde aura com­pris, quand le monde aura du talent, juré, il sor­ti­ra. Pas ques­tion de bou­ger avant !

Alors il ira dans la rue, La rue du monde, celle qui monte, monte tout droit, pavoi­sée de blanches et de noires, de croches et demi-croches, et par­fois de silences, comme ça pour rien… Tout le long il dévi­de­ra les col­liers de mots, les bra­ce­lets de mots, tout droit sor­tis de son crâne. Il les lan­ce­ra vers le ciel, les dis­tri­bue­ra par poi­gnées. Les mots alors s’élèveront comme des bulles de savon, feront des ara­besques sans fin. Quand il pas­se­ra devant le caba­ret de Pon­chon et Cie, un incroyable tohu-bohu s’élèvera et l’on ver­ra débou­ler une cohorte éche­ve­lée de poètes, de chan­teurs, de bala­dins de tous poils. Les plus aver­tis, et les plus chan­ceux aus­si, pour­ront recon­naître Ara­gon, Hugo, Genet, Des­nos, Leprest, Dau­tin, Ber­tin… À leur tête, l’accordéon vis­sé sur le ventre, une femme, oui, une femme ! Michèle B. les mène­ra aux 14 coins de la ville, dans la rade des lits où les atten­dra Riche­pin, la lune entre les dents, pour avoir si long­temps plan­té sa plume dans les étoiles !

Ô le mémo­rable ban­quet qui s’en sui­vra ! Il res­te­ra dans les archives, on veut bien le croire. Mais par-des­sus tout, jamais on n’oubliera les larmes que le petit homme ver­se­ra en enten­dant sou­dain la foule scan­der : « Un Bizet sur la touche ! Un Bizet sur la touche ! »

C’était l’histoire du petit homme « pirouette caca­huète ». La véri­table his­toire celle-là. Il se saou­lait à l’utopie, s’en allait répé­tant que l’appétit vient en aimant et se vau­trait dans les mots pour reboi­ser l’âme humaine depuis qu’il avait enten­du l’appel de Julos B.

Tout avait com­men­cé là, le 3 février 1975.

Article initialement publié sur le site Nos Enchanteurs :
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