Sans sor­tir, s’en sor­tir 2020  (©Droits Réservés)

16 au 20 mars 2020, pre­miers jours de confi­ne­ment contre le COVID-19

Comme des fenêtres – épi­sode 1

Avec

Musi­ciens, auteurs, chan­teurs en gras dans le texte


« Le pré­sent se rétré­cit au qua­tuor de ces syl­labes : CON-FI-NE-MENT ».

Ces mots sont de Waj­di Moua­wad, acteur, met­teur en scène, comé­dien, direc­teur du théâtre de la Col­line. Il est par­mi les pre­miers à avoir don­né ren­dez-vous aux confi­nés que nous sommes. C’est ain­si que nous pou­vons l’écouter chaque jour à 11h dans un épi­sode sonore de moins d’un quart d’heure, sur le site sound​cloud​.com. « Une écri­ture à dire, une parole d’humain confi­né à humain confi­né, des mots comme des fenêtres, pour fendre la bru­ta­li­té de cet hori­zon qui nous enterre… Faire preuve de pré­sence… » S’enivrer contre la mort en somme, comme le fit Ulysse, pri­son­nier du cyclope Poly­phème… Et je pense sou­dain à l’impressionnante sta­tue de bronze du cyclope par Tho­mas Hou­sea­go, plan­tée devant le théâtre Sora­no à Tou­louse. L’art en réponse à la mort, à sa menace.

Les artistes, par­mi les pre­miers atteints par l’ennemi au si joli nom de coro­na­vi­rus (annu­la­tion de spec­tacles, concerts, fer­me­tures des théâtres, des ciné­mas, des cafés où les plus pré­caires se pro­duisent sou­vent…) ont immé­dia­te­ment réagi à cet épi­sode dys­to­pique, à ce cau­che­mar – cette guerre répè­te­ra comme une lita­nie, notre pré­sident de la Répu­blique – dans laquelle nous sommes tous en train de bas­cu­ler depuis plu­sieurs jours déjà. Cer­tains de nos conci­toyens d’ailleurs, paraissent même encore aujourd’hui, n’avoir pas enten­du son­ner le glas. Il faut relire La Peste de Camus pour savoir qu’un tel com­por­te­ment pou­vait être attendu…

Au 3ème jour – c’était hier – le musi­cien Jean-Chris­tophe Sir­ven écri­vait sur sa page Face­Book : « Pen­dant que nos écrans bégayent un sce­na­rio de Bar­ja­vel, nos villes sont plon­gées dans la bande-son d’un film de Jacques Tati. Au loin un départ de tram­way, des gazouillis oise­leurs, des saluts aimables et métrés, des bouts de conver­sa­tions sans début ni fin, des bour­don­ne­ments rayés, des sif­fle­ments tré­mo­los. Ce confi­ne­ment c’est le retour de Mon Oncle. La do sisi­si­si la do si etc… »

Sur le réseau social Face­book en effet, les auteurs, les musi­ciens, les chan­teurs de notre réseau Chan­son se sont mis aus­si­tôt à envoyer leurs mes­sages, leurs vidéos, leurs enre­gis­tre­ments audio, leurs créa­tions comme leurs reprises. Autant d’initiatives non seule­ment pour répondre à l’interdiction qui leur est faite de ren­con­trer le public, mais sur­tout pour défaire le confi­ne­ment, en réduire les effets dévas­ta­teurs sur le moral, trom­per les solitudes.

Et c’est ain­si que, du matin au soir, il est pos­sible de rece­voir chez soi, sans qu’il nous en coûte un cen­time bien sûr, de quoi rem­plir nos heures des plus tou­chantes expres­sions artis­tiques. Il n’est d’ailleurs pas pos­sible de toutes les recen­ser. Le groupe nom­mé Concerts et chan­sons confi­nés, à lui seul, affi­chait hier 1000 participants.

Cet élan créa­tif excep­tion­nel, cette géné­ro­si­té, cette soli­da­ri­té tant appe­lée de nos vœux dans notre vie d’avant (sic) méritent que l’on s’y arrête et que l’on cite quelques exemples. On vou­dra bien admettre qu’il ne s’agit nul­le­ment d’un palmarès…

Au pre­mier jour cer­tains ont pro­mis un ren­dez-vous quo­ti­dien, en toute sim­pli­ci­té. Côté chan­son citons Davy Kilembe avec par-des­sus tout son rire et sa bonne humeur légen­daires, Lili Cros et Thier­ry Cha­zelle qui firent un tabac d’entrée et même des « poids lourds » de la « varié­té » : Mat­thieu Che­did, Jean-Louis Aubert, Patrick Bruel, Fran­cis Cabrel avec au pre­mier soir une chan­son inédite… Mais il serait dom­mage de man­quer les reprises tendres et enso­leillées de Cathy Fer­nan­dez, celles de Guillo dans le réper­toire de MC Solaar, l’inimitable voix pro­fonde et la dou­ceur de Lise Mar­tin. De son côté, Gau­vain Sers, s’est mis à écrire un « texte de cir­cons­tance », comme ceux aux­quels il nous a habi­tués, titré En qua­ran­taine. Il l’a publié en fai­sant appel aux com­po­si­teurs… A suivre donc…

On note­ra que c’est l’occasion pour beau­coup de rendre hom­mage au patri­moine de la Chan­son : Chouf avec Le petit bal per­du de Bour­vil, La Pie­tà avec Il venait d’avoir 18 ans de Dali­da, les insé­pa­rables Ana­tole Schoef­ferBap­tiste Dale­man, aujourd’hui sépa­rés mais capables d’entonner en duo Il est libre Max d’Her­vé Cri­tia­ni… C’est aus­si quel­que­fois l’évasion d’une vidéo en plein air avec le chant des oiseaux qui se moquent bien de nos tour­ments. Ecou­tons Her­vé Lapa­lud en forêt avec sa kora, Thi­baud Defe­ver et sa gui­tare dans une « chan­son sans parole » offerte « pour le temps qui passe, pour les gens qui passent, pour les gens qui soignent »… Nicole Rieu, la géné­reuse, dans son Ariège, ou Pierre-Antoine dans son jar­din, avec sa gui­tare cette fois. Autant de cadeaux pour tous ceux qui sont confi­nés dans leur appartement.

Côté lec­ture, nous avons eu déjà de belles sur­prises, elles aus­si quo­ti­diennes. Quel bon­heur de retrou­ver chaque jour Marion Cou­si­neau – aus­si douée dans cet exer­cice qu’elle l’est en scène pour chan­ter – qui, en quatre épi­sodes de 45 minutes, nous a offert une his­toire de fugueuse magnifique,La folle allure de Chris­tian Bobin. Gra­ti­tude aus­si à Mar­gaux Astra­vare pour sa lec­ture d’Andrée Che­did dans Les marches de sable.

L’écriture n’est pas oubliée non plus. Tout juste ren­tré d’Algérie – non sans dif­fi­cul­tés – Meh­di Krü­ger a pro­po­sé des séances d’écriture en ligne d’une grande per­ti­nence et nous savons que des ate­liers à dis­tance s’organisent ici ou là autour des plus che­vron­nés des ani­ma­teurs, comme Xavier Lacou­ture ou Igna­tus

Enfin, on ne sau­rait oublier de rire du dan­ger qui nous guette, de la mort tapie dans l’ombre et c’est Patrice Mer­cier qui s’en charge avec le talent qu’on lui connaît.

Il va être 20 heures… L’heure de saluer de nos applau­dis­se­ments, de nos cris, de nos chants ceux qui sont mobi­li­sés pour nos vies, au péril de la leur.