Dominique Babilotte - La promesse du baiser 2018 (© Illustration Jean-Yves Le Bon)

Domi­nique Babi­lotte – La pro­messe du bai­ser 2018 (© Illus­tra­tion Jean-Yves Le Bon)

13 Octobre 2018, sor­tie de l’album

La pro­messe du baiser

Avec

Domi­nique Babi­lotte (Voix, textes et musiques sauf 11 novembre 9h32 texte de Manuel Bon­neau et On l’aura vou­lu, musique de Louis Soler ) Mathilde Che­vrel (vio­lon­celle) Jean-Bap­tiste Hen­ry (ban­do­néon) Jérôme Kéri­huel (bat­te­rie, per­cus­sions) Flo­riane Le Pot­tier (vio­lon) Xavier Lugué (Contre­basse, basse élec­tro­nique), Jean-Michel Péresse (cor) Pierre San­gra (ban­jo) Louis Soler (gui­tares) Phi­lippe Tur­bin (pia­no) Arran­ge­ments : Mathilde Che­vrel, Jean-Marc Illien, Louis Soler et Phi­lippe Turbin. 


Ce disque est arri­vé, orné, comme un paquet cadeau, d’un bout de ruban rouge. Dire d’abord que c’est un bel objet, pro­messe de textes choi­sis, déli­ca­te­ment illus­trés. La cou­ver­ture s’ouvre en plein milieu du bai­ser, entre les deux bouches rouges, pour lais­ser appa­raître le chan­teur, visage levé vers nous, che­mise blanche se décou­pant sur le bleu de la mer. Le soleil est là et fait plis­ser les yeux.

« Ici le temps s’arrête à cha­cune de ses secondes /​En baie de St Brieuc, un soleil s’est posé. »

Nous écou­tons la belle voix pro­fonde et sûre, au pre­mier plan d’un habillage musi­cal qui ne l’écrase jamais mais l’escorte. Cette voix, bien sûr, a les accents de Serge Reg­gia­ni, celui que Domi­nique Babi­lotte porte en lui. Inti­me­ment. D’ailleurs il lui rend un hom­mage appuyé à la fin de la chan­son Alcool… « Les loups, ouh, ouh… » Mais on trou­ve­rait aus­si par­fois des rémi­nis­cences de Michel Jonasz ou Maxime Lefo­res­tier, quand la voix se fait plus tendre, cares­sante, comme pour le der­nier titre. C’est dire si nous sommes en terres fami­lières, sur­tout quand on vint au monde dans ces temps enfuis où « la mémoire de la guerre s’insinuait partout ». 

Arrê­tons-nous un moment sur le texte du cin­quième titre, au mitan de l’album… En baie de St Brieuc, une longue chan­son, 5 ’27. Un tableau impres­sion­niste aux cou­leurs chan­geantes, selon la sai­son, selon la lumière, le mou­ve­ment des oiseaux dans le ciel, les jeux de l’enfant sur le sable, les marées.

Sui­vons ce fil de lecture.

Il com­mence en automne, « du gris, du vert de gris, de l’argent et du bronze ». C’est le temps de la page blanche, celui de la ren­contre. Puis vient l’hiver. Tout reste à écrire, « En baie de St Brieuc quelque part sur la Manche. » C’est le temps du bai­ser. Au prin­temps, même les rêves prennent leur envol, « font du para­pente au-des­sus de la Manche ». Alors, c’est la nais­sance de l’amour qui s’épanouira la sai­son sui­vante, « En été, mon Amour, je vous ai gar­dée. »

Cette chan­son, En baie de St Brieuc, nous guide donc dans l’approche des autres titres. On sus­pend le temps, à marée basse. C’est là que le vent mur­mure des his­toires pour qui veut bien les entendre.

L’amour se dit de mille et une façons dès le deuxième titre. Sur un rythme lati­no les images cara­colent, toutes emprun­tées à la nature, aqua­tique de pré­fé­rence… Car l’amour c’est « l’eau…de vie » ! Et sa plus forte expres­sion c’est le bai­ser, sa pro­messe, le temps du désir… C’est à cet éro­tisme déli­cat que Domi­nique Babi­lotte consacre la der­nière chan­son, le titre épo­nyme. Pro­messe du bai­ser, hom­mage à la vie, à la force d’aimer.

Ecou­tons donc cette vie qui bat, dès l’enfance, aux seuls accents du pia­no. Elle revient en mémoire et recrée ce temps révo­lu, fait renaître les sen­sa­tions, bruits, cou­leurs, saveurs, odeurs… Et sur­tout les visages, père, mère, frère, oncle… Et cette ques­tion qui s’en vient tam­bou­ri­ner : « Qu’aurais-je accom­pli qui mérite salaire /​Au gui­chet du temps per­du et des comptes à refaire ? » Car l’homme, le chan­teur, par­ve­nu à son âge mûr, se ques­tionne devant l’état du monde (Que mur­murent les che­vaux ?). Devant la souf­france, la misère, celle des « Car­to­ne­ros » des fau­bourgs de Bue­nos-Aires, celle des « bif­fins » de Mont­martre, celles des enfants sur les décharge du Gha­na. Tout natu­rel­le­ment c’est là que le ban­do­néon s’invite… Domi­nique Babillotte donne la parole aux vain­cus, aux per­dants, aux oubliés par­tout sur la Terre. A la sta­tue de pierre de celui qui a vou­lu faire la guerre, regar­dant la mas­ca­rade qui se déroule devant lui et le cha­grin de sa mère, un 11 novembre … A Naciente Moa­cir Bar­bo­sa, héros déchu du foot­ball bré­si­lien en 1950, homme noir à qui l’on ne par­don­ne­ra jamais la défaite. Aux « femmes que l’homme agresse, que la socié­té délaisse », à Sabri­na, Mina, Josia, Beli­na, Syl­via, Lucie… Elles sont cor­tège, hélas… appe­lant de ses vœux la route de l’égalité, la pari­té. C’est dans un texte par­lé qu’il scande comme en point d’orgue « On l’aura vou­lu », nos inco­hé­rences qui sont autant de déchi­rures, nous qui sommes soli­daires du loup comme du ber­ger… « On veut tout et son contraire ». 

Vous l’aurez com­pris cet album est une ouver­ture sur le monde, il ne s’enferme pas dans le laby­rinthe d’une pen­sée auto­cen­trée. Quand l’auteur s’accorde une chan­son por­trait c’est avec humour, déri­sion, « Si seule­ment j’buvais pas qu’d’l’eau »… évo­quant la cohorte des artistes qui auraient trou­vé dans les para­dis arti­fi­ciels l’expression de leur talent.

Com­ment répondre à toutes ces ques­tions, à ce monde si ce n’est par la créa­tion qui alerte, ques­tionne, sou­lage… enchante enfin ? C’est Anne Syl­vestre que Domi­nique Babi­lotte a choi­sie pour incar­ner son espoir têtu.

« Et que long­temps encore Anne Syl­vestre chante ! »