Guillaume Farley - Détours de chant– 2018 (© Alexandre Lacombe)

Guillaume Far­ley – Détours de chant– 2018 (© Alexandre Lacombe)

« Levers de rideau » de Guillaume Far­ley

31 jan­vier & 1er février 2018 - – Concert d’Erwan Pinard – La Pause Musi­cale de David Lafore

Avec en solo gui­tare, voix

Guillaume Far­ley – Erwan Pinard – David Lafore


La Cave Poé­sie & la Salle du Séné­chal (Tou­louse)

Détours de Chant, c’est aus­si pour nous l’occasion de scru­ter cette rela­tion sin­gu­lière et fas­ci­nante, qui s’instaure entre des artistes en scène et leur public. Trois chan­teurs nous offrent cette oppor­tu­ni­té dans la pro­gram­ma­tion de cet hiver 2018. Erwan Pinard, David Lafore et Guillaume Far­ley ont cette facul­té de mettre le public d’emblée dans leur poche, de rompre cette dis­tance vir­tuelle entre eux et lui, d’aller le titiller un peu, voire le déran­ger, le pro­vo­quer jusque dans l’obscurité de la salle où il peut se croire légi­ti­me­ment hors champ.

Bien sûr, nous sommes accou­tu­més à voir au théâtre les comé­diens cas­ser les codes avec plus ou moins d’insistance et le spec­tacle vivant d’aujourd’hui mul­ti­plie­rait presque à l’excès le pro­cé­dé, notam­ment dans les on man show. Rien de bien nou­veau donc. Le public est le par­te­naire de tout spec­tacle, sans lui rien ne peut exis­ter quand bien même res­te­rait-il muet et silen­cieux. Sauf que c’est tout de même moins fré­quent en Chan­son – au-delà des appels conven­tion­nels et irri­tants au ça va ? vous êtes bien ?, aux inci­ta­tions par­fois mal­adroites à chan­ter ou taper dans les mains – et que réus­sir cette ren­contre avec le public ne va pas de soi. C’est un périlleux exer­cice d’équilibriste.

Les trois artistes dont il est ques­tion ont cette par­ti­cu­la­ri­té de ne pou­voir être réduits à un seul registre, de mul­ti­plier les angles de vue, d’approche, d’être tan­tôt comiques, tan­tôt tendres, tan­tôt sombres…Ou tout à la fois. Et spec­ta­teurs cha­hu­tés, on s’accroche aux branches pour les suivre.

Regar­dons de plus près ce qui les dis­tingue et les rapproche.

Guillaume Far­ley accom­pa­gné de sa gui­tare élec­trique rouge, de ses « boucles », de sa capa­ci­té à ryth­mer son chant par la beat box, à recou­rir au scat, a démon­tré la palette de son talent. Cepen­dant elle ne serait rien sans son évi­dente géné­ro­si­té en scène, son cha­risme. Nous l’avons enten­du dans quelques unes de ses chan­sons, et dans des reprises connues ou non. L’étendue de son réper­toire est immense, de toute évi­dence, mais chaque fois il s’approche du public comme d’un com­pa­gnon, d’un ami, d’un confi­dent. Aus­si à l’aise dans la re-créa­tion d’une chan­son de Jacques Brel – on vous le répète, son inter­pré­ta­tion de Ces gens-là est inou­bliable – de Bob­by Lapointe ou d’Eric Tou­lis. Dif­fi­cile de résis­ter à l’attraction de son sou­rire, des pas de danse de son long corps mince, de son jeu de gui­tare. Tout lui semble léger, facile et nous nous lais­sons gui­der vers cette sen­sa­tion d’être heu­reux. Ici, maintenant.

Erwan Pinard lui, com­mence son concert le visage ren­fro­gné, la voix grave, écor­chée, le texte déri­vant vers les eaux troubles d’un « amour en trompe l’œil »… Et sou­dain il sort de cet état d’homme aux prises avec la dou­leur, au point de pous­ser des hur­le­ments, d’aller inter­pe­ler des spec­ta­teurs pour leur dire ensuite « Je devine des regards un peu inter­dits… On va faire un temps calme »… A par­tir de cet ins­tant, mal­gré la franche colère, la révolte, la déri­sion quand il s‘agit de rire de nos habi­tudes qui vont de tra­vers, de l’invasion des sciences qui dis­sèquent tout – même l’amour, – du lan­gage qui ne veut plus rien dire, le public devient son par­te­naire, son com­plice. Il rit de bon cœur quand le chan­teur raconte ses anec­dotes de prof en col­lège, quand il se sert de la pré­sen­ta­tion de la pla­quette du pro­gramme pour enchaî­ner ses chan­sons. Mais il s’émeut aus­si quand il entend son nou­veau titre, sa quête d’amour sans issue – le grand enjeu – dans un super­mar­ché auquel il emprunte toutes les codi­fi­ca­tions… « Est-ce l’enfance qui s’en va quand les mar­chands s’en viennent ? ». Il par­tage fra­ter­nel­le­ment ses dés­illu­sions amou­reuses « Moi, il suf­fi­sait de t’aimer pour aimer tout le reste » sa ten­ta­tion de la soli­tude… Et il rit avec lui, encore, sou­vent… Comme avec son meilleur ami.

Enfin David Lafore fait figure d’ovni dans ce monde de la chan­son. Un élé­phant fou dans un maga­sin de por­ce­laine… D’une audace incroyable sur­tout face à un public qui n’hésiterait pas à se lever pour quit­ter la salle où il vient, fidèle, pour sa grande majo­ri­té, chaque jeu­di midi. Sa pre­mière chan­son, ses pre­miers mots sont « 20 frs le cun­ni­lin­gus »… Voi­là ! C’est osé, vous en convien­drez. On dira fami­liè­re­ment « ça passe ou ça casse ». Hé bien sachez que ça passe et plu­tôt bien, voire très, très bien. En moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire l’artiste a le public avec lui. Atten­tif à tout ce qui se passe dans la salle, le chan­teur n’hésite pas à inter­pe­ler la spec­ta­trice qui arrive à la deuxième chan­son « Vous venez pour le des­sert ? », celle qui se déplace aux trois quart du spec­tacle et passe devant la scène « Vous venez pour demain ? … On répète, on avait besoin d’un regard exté­rieur… » ou bien celle qui se lève et quitte la salle peu avant la fin, par une porte à droite de la scène « Elle a SA sor­tie ? »… Bref, le public aime ces intru­sions inopi­nées, cette part d’improvisation. Comme Erwan, il chante beau­coup l’amour, l’attente, la sépa­ra­tion… « Je suis au bout du quai…au bout de tout… » Tout n’est pas rose, c’est sûr, alors autant rire dès qu’on le peut, pour se laver du pire. Il chante le désir fémi­nin sans fausse pudeur, fait mono­lo­guer une petite culotte a capel­la, juste en cla­quant des doigts, il se prend pour un chan­teur ita­lien, il fait tout et n’importe quoi pour oublier que le vent emporte tout… « Avant de s’enfoncer jusqu’au cou dans les pro­fonds marais ».

Le public, par­te­naire par­ti­cu­lier, ne s’y est pas trom­pé. Il a ova­tion­né chaque fois les trois artistes.