B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

30 novembre 2019, pro­jet ori­gi­nal de Vir­gi­nie Seghers : une aven­ture poé­tique, gra­phique et musicale 

Livre –disque Echos d’atelier

Avec

Les arti­sans litho­graphes et l’équipe d’IDEM

Les artistes peintres Jean-Michel Albe­ro­la, Titouan Lama­zou, David Lynch et Nico­las Vial pour leurs litho­gra­phies originales 

Vir­gi­nie Seghers, textes, com­po­si­tion (en par­tage avec les musi­ciens) et chant, Xavier Lugué (contre­basse), Pas­cal Pis­tone (pia­no), Mat­thieu Roy (vio­lon), Boris Skier­kows­ki (bat­te­rie, per­cus­sions), par­ti­ci­pa­tion de Valen­tin Seghers Alma­vi­va (saxo­phone), Clé­mence Skier­kows­ki (vio­lon­celle) 


Avec ce livre –disque, Echos d’atelier c’est Noël avant Noël… Un si bel objet arri­vé par sur­prise, alors que nous igno­rions même sa paru­tion. A peine feuille­té, il nous est appa­ru comme un livre d’Art, une invi­ta­tion à che­mi­ner avec Vir­gi­nie Seghers, dans l’univers de la litho­gra­phie, plus pré­ci­sé­ment dans l’atelier d’art de Mont­par­nasse. Sur un papier ivoire, par la com­po­si­tion artis­tique de Juliane Cordes, gra­phiste, les textes des qua­torze chan­sons voi­sinent avec des litho­gra­phies ori­gi­nales signées Jean-Michel Albe­ro­la, Titouan Lama­zou, David Lynch et Nico­las Vial qu’elles ont ins­pi­rées, avec des pho­to­gra­phies de Pier­rick Bour­gault repro­duites sur des calques… Légè­re­té, finesse et beau­té pour illus­trer un uni­vers de fonte, d’encre et de papier, celui de l’atelier avec ses presses, ses rou­leaux, ses pierres… C’est à l’image de cette tech­nique d’impression où « la taille et la force des presses contrastent avec la finesse et la déli­ca­tesse des œuvres ». Le livre s’achève sur des pages consa­crées aux mots de la litho­gra­phie : équi­piers, étapes suc­ces­sives de la créa­tion, machines, encres et papiers…

Un hom­mage en somme à un savoir-faire que l’on pour­rait croire oublié. Il en appelle à l’amour du beau papier, du des­sin, des cou­leurs… Une pierre (autant de pierres qu’il y a de cou­leurs) de l’encre, du sable et du papier… C’est au contact de ces gestes, ces odeurs, ces cou­leurs et ces matières, que Vir­gi­nie Seghers (fille du poète et édi­teur Pierre, et de la roman­cière Colette Seghers) a trou­vé l’inspiration de ses chan­sons. Un outil, une lettre, un signe de ponc­tua­tion, une atmo­sphère, une cou­leur ont suf­fi… Les textes sont por­tés par le chant lim­pide et léger, par les arran­ge­ments où dia­loguent le plus sou­vent le pia­no et le vio­lon, le cœur bat­tant de la contre­basse, comme autant d’envolées jaz­zy, de caresses et de fan­tai­sie… Pour les écou­ter, on s’imagine dans le rouge velours d’une petite salle caba­ret nim­bée de lumières tami­sées… On se laisse prendre par la main dans cet ate­lier où sou­dai­ne­ment se tait le cli­que­tis entê­tant de la presse. Ins­tant de pause où émerge un flot de sen­sa­tions, d’émotions, d’images en cor­res­pon­dance avec le lieu ins­crit dans la mémoire de l’auteur.

Les chan­sons deviennent des ins­tan­ta­nés, des pay­sages inté­rieurs, comme autant de petits tours de soi, comme autant d’étapes d’une vie. La sienne mais la nôtre aussi.

Le voyage nous mène de l’écho d’une voix chère qui s’est tue à la ber­ceuse pour un petit Robin­son tout neuf (Sur ton île). Elle ins­pire au des­si­na­teur Nico­las Vial l’image colo­rée d’un petit bateau méca­nique sur une eau bor­dée d’une végé­ta­tion luxu­riante… Inquié­tante ? C’est encore l’eau, – indis­pen­sable à la litho­gra­phie – qui ins­pire Titouan Lama­zou. Une immer­sion dans des reflets de vio­let, de bleu, de vert, les flots de la vie où par­fois l’on se perd « Je dérive sirène impa­vide /​vers d’autres rives qui m’enchantent. » C’est peut-être bien le papier qui reçoit le plus bel hom­mage avec ses noms, comme autant d’invitations à rêver, à créer dans ses fibres, ses fils « Je suis d’eau, de bois, de chif­fon, de soie /​De coton, de lin, de chanvre ou velin /​De près, de loin… ». Et si nous étions, nous aus­si, au-delà de nos vais­seaux, molé­cules, atomes et par­ti­cules cette matière vivante où s’imprime le dérou­le­ment de nos vies ? « Et il y a par­fois, tapis sous mes pas /​Paroles, patience /​Un fleuve où je bois, un isthme, un del­ta /​Une vie qui danse » (Mais je suis aus­si). Bien enten­du, dans cet ate­lier, on suit volon­tiers les trois cou­leurs « Jaune, cyan, magen­ta » leur alchi­mie, et le défi­lé de toutes celles qu’elles engendrent de l’aurore au cou­cher, de sai­son en sai­son. Devant l’immense presse de l’atelier, la litho­gra­phie de David Lynch, invite au désir, à la beau­té du corps nu en trans­pa­rence … Ren­contre fugace du fémi­nin et du mas­cu­lin, « Elle est son île au milieu de la ville /​Il est son aile vers une nou­velle idylle » (Louis & Louise). Par­fois l’humour s’invite aus­si, dans le tan­go des polices (Gara­mond), ces lettres qui riva­lisent sur le papier et qui ins­pirent la litho­gra­phie du peintre et cinéaste Jean-Michel Albe­ro­la, comme le font les égos « Atten­tion ça pétille, quand l’égo s’évapore /​Et bien­tôt ça vacille quand l’égo s’égosille ! » ou peut-être aus­si les ins­tru­ments, vio­lon, pia­no, bat­te­rie qui, cha­cun leur tour, font entendre leur voix…

Lais­sons la conclu­sion à Vir­gi­nie Seghers : « La vie n’est-elle pas cet étrange ate­lier, où dans le bruit du monde cha­cun grave en silence sa propre tra­jec­toire ? Tout y est alchi­mie, cor­res­pon­dances et imper­cep­tibles échos. »

Le beau-livre disque