Cali (© Yann Orhan)

Cali (© Yann Orhan)

1er février 2017 – 16ème Détours de Chant – Cali en solo

avec Bru­no Cali­ciu­ri /​Cali (Gui­tare, pia­no, har­mo­ni­ca, voix) – Lise Mar­tin en lever de rideau (uku­lé­lé, voix)

Théâtre des Mazades (Toulouse)

Ce concert, c’est d’abord dans le noir, une voix de ciné­ma des années enfuies… Puis vient celle de Cali, pro­fonde, éton­nam­ment grave et posée. Elle s’élève avant même que le rideau se lève. Nous le décou­vrons ins­tal­lé sur un cana­pé rouge, jouant de la gui­tare, dans un décor très vin­tage. Sa chambre d’adolescent… Enfin presque ! Une gui­tare, un pia­no, un micro devant une chaise en centre de la scène. Des pos­ters sont affi­chés en noir et blanc, toile de fond de sa jeu­nesse. Ciné­ma, musique… James Ste­wart, Leo­nard Cohen, Bruce Spring­steen, La vie de Bohême de Aki Kau­rismä­ki, son film culte… Pochettes de 33 tours empi­lées. Sur le des­sus, l’al­bum  War du groupe mythique U2… Livres en désordre sur une table basse.

Nous avons été déli­cieu­se­ment mis en condi­tion par l’apparition devant le rideau de la jeune Lise Mar­tin et son uku­lé­lé. Gra­vi­té, pro­fon­deur, là encore. Textes sub­ti­le­ment écrits où se glissent Cré­pus­cule de Vic­tor Hugo et une chan­son de Rémo Gary, comme la signa­ture d’une filiation.

Pas de rup­ture d’atmosphère donc dans cette ouver­ture – au sens sym­pho­nique- avec la pre­mière chan­son de ce long tête à tête avec Bru­no Cali­ciu­ri de Ver­net-les-Bains : A cet ins­tant je pense à toi, énu­mé­ra­tion d’images, de flashs de toute une vie dont fut pri­vé un être dis­pa­ru trop vite. Voi­là donc que com­mence un moment de spec­tacle que l’on savoure comme si l’artiste était venu s’installer dans notre salon. Il vient sim­ple­ment en bord de scène, lève la main dans un salut fra­ter­nel, sous une ova­tion, bien sûr.

Mais c’est une magie qui s’opère, un petit miracle pour chaque spec­ta­teur. On peut se croire le seul élu de cet ins­tant confi­den­tiel quand il se met à par­ler assis au centre du pla­teau. Sou­vent d’ailleurs un tech­ni­cien vient alors prendre soin de sa gui­tare, sa nou­velle gui­tare acous­tique, “ en bam­bou, CO2 neutre, qu’un luthier du Sud de la France a fabri­quée pour moi. Un coup de cœur, cette gui­tare. Comme une ren­contre amou­reuse” a‑t-il confié en entretien.

Il dévide ain­si ses sou­ve­nirs, des épi­sodes – cer­tains très intimes – qu’il raconte à la salle éclai­rée. Par­ve­nu près de la cin­quan­taine, il y met ten­dresse, amour, joie… et déri­sion ! Car celui qui a vu la gloire, la célé­bri­té s’abattre sur lui avec un seul titre, C’est quand le bon­heur, ne manque pas une occa­sion de s’amuser de lui-même, de nous amu­ser. En voi­ci le début : son groupe au doux nom de Péné­tra­tion anale, où son pote chan­teur pousse des cris… La fête du lycée avec ce groupe (on ima­gine l’effet pro­duit !), ses amours ado­les­centes pour une petite anglaise, pré­nom­mée Louise. Sa fugue en Angle­terre, l’Irlande, Dublin, la grande soeur Anna qui le sup­plie de ren­trer… Son pan­ta­lon qui prend feu aux bou­gies qu’il ins­talle dans un élan de roman­tisme pour son amou­reuse… Le voya­geur qui croit le recon­naître et le prend pour un acteur porno…

Quand vient l’heure du suc­cès, il ne fau­drait pas croire que cessent les occa­sions de rire de soi, en par­ti­cu­lier avec ses six nomi­na­tions aux Vic­toires de la Musique, six fois per­dues… La « loose » s’amuse-t-il ! L’occasion d’égratigner un peu au pas­sage les ins­ti­tu­tions, bien sûr, pour mieux rendre hom­mage à ceux qui comptent et comp­te­ront long­temps. Au centre l’image pater­nel. Ce père qui un jour l’a pris dans ses bras pour lui dire « J’ai com­pris, c’est ça que tu dois faire ».

Alors on s’émeut beau­coup à l’évocation de ses racines, de ses enga­ge­ments rap­pe­lés avec fer­veur, avec rage par­fois quand il est ques­tion des « voleurs d’espoir », des assas­sins, des impos­teurs. On se réjouit d’entendre les grands suc­cès, de par­ti­ci­per à l’élan géné­reux de Mille coeurs debout par exemple, de l’entendre lire aus­si, de décou­vrir les titres inti­mistes du sep­tième et der­nier album Les choses défen­dues, titres ancrés dans des valeurs qu’on lui reconnait.

Mais sur­tout on per­çoit en lui encore et tou­jours un appé­tit insa­tiable d’aimer et d’être aimé, une « peur de conti­nuer seul le che­minassoif­fé de l’amour le plus par­fait » – que sym­bo­lise si bien le titre, Je ne vivrai pas sans toi, écrit sur une route ennei­gée, entre Mont­réal et Qué­bec. Ou bien ces mots du der­nier album « Ton pré­nom je le chante dans ma nuit, il coule dans ma gorge comme un fruit » (Swee­ty). L’amour, déci­dé­ment. Le seul rem­part… On connait la chan­son « Si une femme prend ta main, prends-la pour tou­jours »…

Il ira gra­vir les fau­teuils de la salle, prendre une petite fille dans ses bras, dan­ser avec une jeune femme… Le Cali que nous connais­sons bien, dans sa déme­sure, ses excès ! « Je vais tou­jours trop loin », confie-t-il.

Mais on gar­de­ra l’image de l’homme qui salut une der­nière fois debout, très sobre, très digne cette fois… Les yeux plan­tés vers le ciel. Vers le père qui lui manque tant ?

Une voix s’élève alors dans le noir…Une voix que nous aimions tant, celle d’Annie Girar­dot dans son rôle de femme trom­pée que lui a confié Claude Lelouch dans Vivre pour Vivre : « Je crois qu’il faut tou­jours avoir peur. Il faut tou­jours se voir pour la der­nière fois… »

Fin du concert fleuve. Long tête à tête avec Cali.