Sophie les Bas bleus – Sans Culottes, 2021 (© Y. Koch)
7 décembre 2021 – « Rigolez de nous, soyez jaloux »
De clip en clip #10
Avec
Sophie Les Bas Bleus, Sans Culottes – réalisation SLBB Production – Vins Technics /Sophie Benoit /Anne Sophie Desbrosses – clip tourné à l’écomusée de la vie d’autrefois, association Les Mémoires de Puisserguier (34), sorti le 30 novembre 2021
Amandine Bontemps, Les Béates (texte et musique) – album Relief sorti le 4 décembre 2021 – réalisation Elliot Storey, tourné à Mérens-Les-Vals (09)
Claire Gimatt (paroles et musique) – Sorcières, album éponyme – réalisation Lie Sentis
Bonbon Vodou (paroles et musique) De Colère – album Cimetière créole – clip sorti le 3 décembre 2021 – réalisation Damien Dutrait
Sororité, suite…
Commençons par deux Sophie pour le prix d’une aux bas bleus…
« Sophie Les Bas Bleus ce sont quatre cordes vocales d’humeur syntone, accordéon & ukulélé enlacés, ébranlés par quelques idiophones. » C’est ce que l’on nous en dit sur le site ZikOccitanie. Mais on retient surtout que Sophie fut accordéoniste aux côtés de Barbara Weldens dans les Oies Blanches et qu’elle s’acoquine avec une certaine Anne Sophie – mais pour les « petites filles modèles » faudra repasser ! – qui affiche un solide parcours depuis le Conservatoire et l’art lyrique en passant par les pianos bars.
Quelque chose nous dit d’emblée, qu’il ne faudra pas leur en conter… Et c’est ainsi que nous découvrons le duo bien entouré de nymphettes du même acabit qu’elles qui, toutes, ont dépassé l’âge de jouer à la marelle depuis un certain temps malgré jupettes, socquettes, chaussettes et corsages blancs. Les images en noir et blanc s’accordent au décor d’une salle de classe comme on en voyait encore dans les années cinquante où règne un instituteur vêtu de sa blouse grise. Bien que prompt à manier la baguette et la punition, son œil grivois derrière ses bésicles n’en perd pas une miette. Mais il ne lui sera d’aucun secours d’en appeler même à Dieu pour vaincre ses trop vives émotions à la vue de la nudité des guiboles.
Il finit dominé, écrasé par le chahut, le charivari que sème la joyeuse troupe de filles debout sur les tables, enfin libérées. Car c’est bien de cette revendication qu’il s’agit. Le tableau affiche la leçon : « Je ne dois pas porter de tenues affriolantes qui peuvent distraire mes camarades et heurter la sensibilité de mon professeur », mais le refrain de la chanson, hurle dans le mégaphone, « Libérez les tétons… Libérez les nombrils… » Pour symboliser cette libération, les images d’une circassienne jouant avec des rubans alternent avec celles de trois garçons se bouchant les yeux, la bouche, les oreilles avant d’être gagnés, eux aussi, par le mouvement… Tout est bien dans le meilleur des mondes. Cette chanson est foncièrement joyeuse, endiablée même si quelques plans des deux chanteuses nous les montrent singulièrement combatives. Décidément, ces filles-là ne sont pas prêtes à s’en laisser conter…
Voyons maintenant du côté des Béates. C’est le titre de la chanson d’Amandine Bontemps. Dans un décor de montagne en été paraissent sept jeunes femmes chantantes, vêtues de tenues de couleurs… du jaune, du rouge, du bleu, du rose… « Elles colorent l’espace de leurs rires enchantés ». La caméra tourne autour d’elles, au-dessus d’elles, nous laisse apercevoir les trois musiciens dans un décor de pierres ancestrales (piano, batterie, basse). L’harmonie vocale du chœur est douce, enveloppante, comme l’est le mouvement de la caméra… « Baroques et fantasques, paraissent les Béates /Rigolez donc de nous, soyez jaloux…/ Elles miaulent, elles sourient, s’enthousiasment de tout… » La caméra rejoint le chœur au sens antique du mot, partout où il se glisse. Belles déesses, nymphes habitant les buissons, les chemins, l’eau des torrents. « Elles chantent l’amour quand elles en ont le temps » et les voici qui courent dans les ruines et se mettent à danser, martelant le sol de leurs pieds nus dans une ronde tribale. « Au pays des merveilles sur les traces d’Alice /La meute des Béates brille en feu d’artifice ». C’est un rêve, cette chanson, somptueuse représentation de la femme libre et conquérante dans une nature sauvage, répondant à toutes les disgrâces et calamités dont elle est victime … Ici, le temps de ce clip « c’est une espèce humaine de joyeuses luronnes /Condamnées au bonheur à perpétuité… »
Les Béates d’Amandine Bontemps pourraient-elles croiser les Sorcières de Claire Gimatt ? Voyons un peu… Cette chanson est une quête : « Je cherche la sorcière des sous-bois celle qui enchante l’hiver… », celle qui est maudite, « bannie, condamnée ». Pour avoir dansé, chanté, elle est réduite au silence. La rencontre aura –t- elle lieu ?
Les premiers plans nous montrent un buste de femme nue, presque statufiée, émergeant de branches mortes, face à une étendue d’eau… La peau, les cheveux sont couverts d’une couche de glaise. Les yeux sont fermés. Alternativement d’autres plans courts nous montrent une femme vêtue de vert marchant dans un sous bois, ou bien nageant sous l’eau…
Peu à peu les paupières s’entrouvrent… La femme, elle, court dans les bois, se laissent aller sous l’eau, sur l’eau un peu saumâtre… « Elle n’est qu’une ombre qui hante les bois, qui rôde avec les chats noirs » La caméra s’attarde sur ce plan d’eau et ces branches mortes qui en émergent, sur la glaise du visage qui commence à se craqueler, libérant la peau peu à peu. On voit alors en alternance la femme se mettre à danser dans l’eau, à frapper, gifler l’eau comme le font rituellement les femmes du petit archipel pacifique de Vanuatu, puis à danser sur la rive sur ces paroles conquérantes « Et comme deux sœurs nous courons sur les chemins/dans les bois sans s’en faire plus que ça /entre leurs doigts nous glissons et s’ils nous attrapent même sur le bûcher nous chanterons. » Danse de délivrance et d’hommage aux forces libératrices de la sorcière. Sur le dernier plan le buste est totalement délivré de la gangue qui le recouvrait et l’eau paraît soudain plus claire, plus pure… La femme qui chante est devenue une « béate » qui pourrait s’en aller danser dans la montagne, dans les ruines de l’église de Mérens- les-Vals…
Terminons par le cri De Colère du tout récent clip du duo Bonbon Vodou (Oriane Lacaille & JereM). Dans leur deuxième album des forces contraires se côtoient, des pulsions de vie et de mort même si musicalement le charme des évocations de séga et de maloya opèrent toujours.
La première image de ce clip nous montre la femme assise se frappant du poing le buste, marquant le tempo. On aperçoit derrière elle les jambes de l’homme puis leurs deux visages à l’expression sévère apparaissent en gros plan, pareillement ornés de la même couleur framboise dans les cheveux, autour du cou. Nous les voyons, elle dans le fauteuil de cette même couleur, lui debout, puis tous les deux attablés dans un étrange décor de maison en ruines envahies de végétation. La caméra s’arrête sur la main de la femme qui se retire, sur celle de l’homme qui tient un couteau… L’atmosphère se tend… La scène de violence est esquissée très clairement – même si elle est chorégraphiée – en même temps qu’arrive le texte de la chanson. C’est sans ambigüité, dès la première strophe « De colère, un cas d’école, il /Titube, dégrise et chancelle, lui /fort comme un bœuf, saoul comme un homme /Danzereux, danzereux… » On ne peut être plus clair. On revoit le poing fermé sur la poitrine, on la devine se cachant, cherchant une issue, tentant de fuir… On le voit, lui, esquisser des gestes de réconciliation, l’enlacer « lui fait le coup du remords /Culpabilisation max /La relève, l’embrasse Ambigu, Tendancieux… » La violence va crescendo, il casse la vaisselle, au ralenti les bris d’assiette cassée, la table renversée… Et toujours cette évasion, l’apparition par instant de leur couple chantant, uni, quand elle regarde au dehors… On la voit enfin s’emparer à son tour d’un couteau… « Attrape une lame et d’un feu de colère /Frappe… »
Puis dans la nature, elle apparaît debout, regarde son poing fermé qui s’ouvre lentement.
Ce duo a eu bien du courage de mettre en images cette « furie », « l’acte de peu de fierté », cette violence exercée sur la femme dans une chanson qui n’offre pas d’échappatoire. C’est un acte fort d’engagement aux côtés des femmes victimes de violences conjugales.
Il en faudra encore du chemin pour que s’accomplisse le Mouvement de Libération des Femmes, comme nous le disions dans les années 1970, sous l’impulsion d’une Simone de Beauvoir, pour qu’elles rejoignent, toutes, ces belles images de nymphes libres et joyeuses du clip d’Amandine Bontemps.