À nos Chansons #5 - demi-finale, Forum Léo Ferré (© Claude Fèvre)
20 mars & 3 avril 2022 – C’est Barbara qui nous rassemble
Tremplin À nos Chansons organisé par l’association Initiatives Chansons
Avec
Demi-finale :
Agnès Guipont (piano, voix) – Belfour (Lucie Mena & Michaël Sacchetti, guitare) – Camille Laïly (piano, guitare, voix) – Elsa Keats (piano, guitare, voix) – Inès Desorages (guitare électrique, voix, accompagnée par Etienne Champollion) – Kijote /Damien Ruiz (guitare, voix) – Maïté Merlin (piano, voix et guitare électrique de Clément Berthié) – Marius and The Needs en duo (Marius Pibarot, violon, voix, accompagné par Juan Villarroel, contrebasse) – Mélie Fraisse (violon, clavier, voix) – Melkoni Project /Louise Perret – Missone (piano, voix) – Nawel Dombrowsky (voix, accompagnée par Jessica Rock, piano) – Romain Lemire (accompagné par Muriel Gastebois, percussions) – Rosalie Hartog (violon, voix accompagnée par Aurore Daniel, violoncelle, Leïla Soldevila, contrebasse)
Finale par ordre de passage :
Agnès Guipont – Camille Laïly – Marius and The Needs – Melkoni Project – Kijote – Missone – Romain Lemire
Chansons de Barbara interprétées en finale :
L’aigle noir, Nantes, À mourir pour mourir, Le Zinzin, Chaque fois qu’on parle d’amour, Au bois de Saint-Amand, Ce matin-là
FLF, Forum Léo Ferré – Théâtre Antoine Vitez (Ivry-sur-Seine)
C’est jour de grand soleil sur Paris, ce dimanche 20 mars. Les arbres et leur abondante floraison habillent de blancheur les alentours du moulin de la tour d’Ivry-sur-Seine, juste en face du numéro 11 de la rue Barbès, autrement dit du Forum Léo Ferré. Une affiche vous informe « C’est une chanson qui nous rassemble ». Alors pas d’hésitation, entrons !
À l’heure où nous arrivons, d’aucuns s’égaient dans la cour, d’autres s’adonnent à une petite sieste. On tente par tous les moyens de maîtriser la tension qui prévaut à l’exercice, à la compétition, où seulement deux chansons vont décider de son sort : une chanson de son répertoire et une chanson de Barbara à qui cette cinquième édition est dédiée, après Anne Sylvestre, Claude Nougaro, Pierre Perret et Georges Brassens.
Un comité de sélection a écouté les trois titres imposés de cent vingt candidats et retenu quatorze noms, veillant à diversifier les styles, accordant toute son attention à la qualité et l’originalité de la reprise.
Ce sont donc ces quatorze chanteurs, chanteuses – elles sont nombreuses ce soir et, notons-le, rivalisent de grâce, d’élégance et de beauté – qu’accueille Le Forum Léo Ferré à commencer par Stébane Lam qui, non content de se battre au quotidien pour la survie du lieu, assure ce soir les fonctions de technicien de plateau avec une remarquable dextérité.
Très vite on se réjouit de la qualité de ce qui nous est proposé et, songeant à Barbara, femme-piano si l’en est – de la place accordée à cet instrument, immédiatement suivie par la guitare, électrique ou pas, à l’heure où l’on voudrait nous faire croire que la chanson devrait dorénavant, pour survivre, s’approprier absolument les ressources de la musique assistée par ordinateur. Nombreuses seront les candidates qui iront de la guitare au piano ou vice versa. Nous avons même pu savourer aux côtés de Louise Perret la grâce infinie de la guitare classique. Quel bonheur aussi d’avoir découvert Mélie Fraisse, Marius Pibarot (Marius and the Needs) et Rosalie Hartog accompagnant leur chant au violon.
Quant à la variété des styles, des présences – ce que l’on apprécie tant dans la Chanson – nous avons eu de quoi nous réjouir et nous émouvoir : la complicité du duo Belfour, l’exigence et l’audace d’Agnès Guipont, mettant en musique les sonnets de Louise Labé –elle nous rappelle l’extraordinaire Norah Krief chantant les sonnets de Shakespeare dans les années 90 – les arabesques du piano de Missone, l’ambiance cabaret de la virevoltante Nawel Dombrowsky, interprétant avec maestria les textes de son complice Yanowski, le clin d’œil au théâtre du comédien-chanteur Romain Lemire et le minimalisme de l’accompagnement, la joie simple et sereine de Marius Pibarot, l’accent ensoleillé et l’authenticité de Kijoté…
Avant d’évoquer la finale, arrêtons-nous aux reprises de Barbara qui nous valent quelques surprises et un supplément d’émotions. C’est incontestablement elle, Barbara, qui nous rassemble ce soir pour tant de raisons qu’il est vain de rappeler ici. Elle, si souvent citée par les jeunes générations qui, ce soir, lui font hommage. Bien sûr, on devine vos réserves, on sait combien vous êtes nombreux à redouter, voire à refuser, d’entendre ses chansons par une autre voix que la sienne… Elle, qui, rappelons-le, n’aimait rien tant que de reprendre les chansons des autres, ce qu’elle fit dans les premiers épisodes de sa carrière, sans jamais ‘en départir par la suite, et ce que fit Rosalie Hertog et son trio de cordes, offrant une version très originale de Pauvre Martin de Georges Brassens Alors, nous avouons savourer, par exemple, le choix de la guitare électrique : Inès Desorages dans Tu ne te souviendras pas, Belfour dans Du bout des lèvres, Maïté Merlin dans Attendez que ma joie revienne, avec toutes les délicates nuances qu’elle y met. On reste décidément admirative devant l’audace d’Agnès Guipont interprétant L’Aigle Noir au piano, touchée par celle, délicate et si sensible de Nantes, par Camille Laïly, étonnée et ravie devant À mourir pour mourir par Kijoté, endossant par là-même les paroles d’une femme, comblée devant la joie complice de Marius and The Needs dans Le Zinzin, chanson essentielle pour qui veut véritablement comprendre Barbara et son idéal de chanteuse « Un charmant petit zinzin /Un drôle de petit zinzin /Un sacré petit zinzin /C’est bien, c’est bien, c’est bien », attendrie par Louise Perret (Melkoni Project) interprétant Chaque fois qu’on parle d’amour, par le piano et la voix de Missone nous emmenant Au bois de Saint-Amand, dans les souvenirs mutins de nos quinze ans, dans une enfance légère et l’évocation pourtant de sa « dernière demeure » – tout l’art de Barbara en seulement une minute trente aérienne ! Peut-être l’occasion de revoir les images d’une séquence tournée en 1967 au Château d’If où Barbara apparaît si radieuse, si lumineuse ? C’est aussi cette Barbara qu’évoque l’interprétation de Romain Lemire arrivant en sifflotant, accompagné par son ukulélé et les petites percussions de Muriel Gastebois pour chanter Ce matin-là… Quel joli choix pour illustrer l’amoureuse qui privilégie le désir, l’attente, et comme l’on comprend, alors, le choix du réalisateur Christophe Honoré qui, en 2007, en fit la chanson du générique de fin de son film Les Chansons d’amour.
Quinze jours ont passé et nous voici au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry. Le soleil nous escorte à nouveau avec toutefois un petit air très vif. À quelques pas, le marché s’étale sur la place du majestueux hôtel de ville… La vie est là qui bat fort dans la cité à l’heure où nous allons revoir les finalistes qui ajouteront une chanson de leur répertoire à ce que nous avons entendu en demi-finale. Un superbe portrait de Barbara nous accueille en fond de scène et c’est la reprise de L’aigle noir par Agnès Guipont au piano qui ouvre cette dernière étape du tremplin. On ne saurait mieux saluer Barbara. C’est une prestation sans faute, élégante, presque majestueuse, peut-être un soupçon intimidante quand on songe au petit zinzin qu’aimait tant Barbara…
On ne saurait aller plus loin sans parler du maître de cérémonie, Patrice Mercier. Chaque année lui est confiée la tâche de présenter les candidats et de divertir pendant les changements de plateau. On l’avoue volontiers, on l’attend dans cet exercice où il excelle, rivalisant d’inventivité et d’humour. Pour l’heure, il offre un savant montage d’images où Barbara paraît avoir fréquenté chacun, chacune des finalistes et lit, élégant et appliqué, le portrait de l’artiste remis aux membres du jury. On le trouve bien sage… Tranquillisez-vous, cela ne durera pas et nous aurons droit en liaison avec un certain Patrick, piètre journaliste, à quelques courts reportages sur des lieux fétiches de la vie de Barbara… Mais surtout nous assisterons à un « Barbarap » désopilant… On attend avec impatience de revoir ces étapes de la finale grâce à l’enregistrement vidéo de David Desreumaux, fidèle partenaire avec Hexagone, de cet événement.
Camille Laïly qui vient en second, alterne piano, guitare et percussions corporelles. Elle met dans la balance son élégance, sa fraîcheur, la beauté des mots simples de sa chanson La rose et l’olivier et son « bel arrangement floral » » Est-ce à dire que le jury comme le public ont été sensibles à ce qui vient contrer une actualité douloureuse, « Une recette du bonheur entre un arbre et une fleur… » ? C’est elle, en effet qui remporte à la fois le prix du public présent et le Grand prix du tremplin qui lui est remis des mains du président du jury, Gilbert Lafaille concluant ainsi son propos : « On est là pour s’aimer »…
Quel plaisir ce sera aussi d’entendre Marius and the needs, l’accompagnement de leurs cordes joyeuses dans leur titre né du confinement Fête à la maison. Presque un soulagement de rappeler que la chanson est aussi faite pour danser !
Le duo guitare classique – voix, Melkoni Project, qui nous a ravis avec La Tendresse, immortalisée par Bourvil, avec sa reprise, et la chaleur, la délicatesse de son titre Coline – un bel hommage à la jeunesse fragile – se verra remettre le prix de la composition décerné par l’UNAC.
Notons que le troisième titre, Ombre et lumière, de Kijote, avec son accent, sa voix rocailleuse qui s’est frottée au sol de sa terre de l’Aude, a fait un élégant clin d’œil à Barbara, elle qui n’a cessé de chanter cette dichotomie, dont il nous reste un duo télévisuel de 1972 avec Johnny Hallyday « Ô mon soleil /Tu es juillet je suis décembre »… Quant à Missone, elle qui mérite plus que bien d’autres les mots chers à Barbara, « femme piano », recevra le prix d’interprétation des mains de son neveu, Bernard Serf, et le coup de cœur du jury des programmateurs de celles de Christophe Adriani, directeur du théâtre Antoine Vitez. Enfin, nul ne doute que Romain Lemire, récompensé du prix de la création, remis par Hélène Nougaro, apporte à la Chanson sa singularité. On ne peut rester insensible au dernier titre entendu ce soir, Vivre en fanfare. Une bien belle conclusion convenez-en :
« Aujourd’hui j’ai vécu ça m’a pris la journée
La finir avec vous c’est finir en beauté… »