CLIO, L’amour hélas, 2021 (©Droits réservés)

CLIO, L’amour hélas, 2021 (©Droits réservés)

17 juillet 2021, en écho au der­nier album de CLIO paru le 23 avril 2021

L’Amour Hélas

Avec

Clio (auteure – com­po­si­trice) Flo­rian Mon­chatre, Augus­tin Par­sy, Paul Roman (arran­ge­ments)


Aver­tis­se­ment : Ce texte ne sau­rait pas­ser pour une chro­nique. C’est une pure fic­tion, un jeu d’écriture où se trouvent insé­rés en carac­tères gras les 10 titres de l’album de Clio. Quelques mots, expres­sions, peuvent être emprun­tés ici ou là aux textes des chansons.

  1. Ai-je per­du le Nord ?2. Elle vou­drait 3. L’appartement (en duo avec Iggy Pop) La belle affaire 5. Je me sou­viens de nous 6. Quelqu’un quelque part 7. Rue de Prague 8.Vertige 9. Tes nuits ber­li­noises 10. L’amour Hélas

Un endroit où poser ta tête un soir d’hiver

On ne sau­ra pas ce qui l’a conduit ce matin là, à l’heure des tasses refroi­dies au comp­toir, dans ce bar de la rue de Prague. Un ren­dez-vous gare de Lyon ? Quelqu’un quelque part ? Une visite, une consul­ta­tion à l’hôpital St Antoine ? On ne sau­ra pas… Mais on le ver­ra prendre un petit car­net dans la poche de sa veste, un sty­lo et se mettre à écrire tout en s’attardant sur les visages, les gestes, les pos­tures des ano­nymes autour de lui.

Il est res­té long­temps à mor­diller son sty­lo, comme noyé dans le ver­tige de ses pen­sées. Il happe au vol un mot, des bribes de conver­sa­tions qui se perdent dans le brou­ha­ha du bar. Tou­jours cette manie de ten­ter de devi­ner l’histoire de cha­cun, cha­cune, d’en per­cer le mys­tère. Et ce besoin d’écrire, de gar­der trace.

« Je me sou­viens de nous… » a dit la grande brune à celui qui vient de s’assoir en face d’elle et qui lui tend la main dans un geste d’un autre temps. Elle est plu­tôt jolie avec ses petites mèches fri­voles sur le front. Le gars paraît inti­mi­dé… Une his­toire com­mence peut-être. Allez savoir… De leur conver­sa­tion à voix basse émerge tout à coup une inter­ro­ga­tion : « Ai-je per­du le Nord ? » Elle a répon­du, un peu triste : « Y a plus per­sonne nulle part… »

Et la petite dame là-bas, tout au fond, avec ses lunettes cer­clées et sa sacoche en cuir plan­tée devant elle. Il devine l’appartement qu’elle vient de quit­ter. Il ima­gine une biblio­thèque où pas un seul livre ne dépasse. Il est sûr de cet ordre là. Il croit bien l’avoir vue sou­rire quand elle por­tait son café brû­lant à ses lèvres par­fai­te­ment des­si­nées de rouge car­min… Elle vou­drait… Elle vou­drait… Mais ose­ra-t-elle ? Du piquant, des couleurs ?

Et puis, là, à sa gauche, ce gars, à moi­tié affa­lé sur sa table, la cas­quette à l’envers vis­sée sur la tête. Ses pieds s’agitent ner­veu­se­ment. Il froisse un papier, le déchire en tout petits bouts qu’il épar­pille dans le cen­drier. Trop tard pour la belle affaire réduite en confettis ?

Sou­dain il se met à pleu­voir… Alors il regarde les gouttes des­si­ner sur la vitre des tra­jec­toires qu’il s’amuse à suivre… C’est joli, les gouttes…

Com­bien de temps est-il res­té ain­si à obser­ver le pas pres­sé des pas­sants ? Le temps qu’il a fal­lu sans doute à un couple tout mouillé pour s’installer, col­lé l’un contre l’autre, sur la ban­quette tout près de lui. Très vite leur conver­sa­tion prend un tour assom­bri. Elle lui mar­tèle sa déci­sion : « Pour tes nuits ber­li­noises, trouve une autre que moi, je ne par­ti­rai pas »… Elle ne lui laisse pas le temps de répondre. Elle évoque le bruit des cap­sules, l’odeur de la bière… Elle aurait rêvé de Venise, Vienne, Alger… L’amour hélas s’abîme sou­vent dans ces dissemblances…

Il en est à cette conclu­sion quand il referme son car­net, le glisse dans sa poche. Mais il se res­sai­sit au moment de quit­ter sa place. Il veut gar­der intact cet ins­tant dans ce bar, la pen­sée qui le tra­verse … Il écrit : « Quand il faut pour t’envoler un endroit où poser ta tête un soir d’hiver… »

Cette fois, il en a l’intime convic­tion, il tient le début de son pro­chain roman.