DBK Project « 480 » (© Claude Russin)
6 juin 2019 – Sortie du 1er album de DBK Project
« 480 »
Avec
Mélanie Briand* (narrations, voix), Milu Milpop* (voix, moog), Ausias* (voix, rhodes, piano, clavinet, synths), Clément Foisseau* (guitares), Romain Sampons* (batterie), Philippe Bonnet (guitares additionnelles), Brunissende Pujol-Augier (cordes), Cecily Noaillac (violons), Julien Demange- Chryst, Raphaël Jaafari (altos), Jean-Baptiste Barneix (violoncelle) – chorale des élèves de 3e du collège Pierre de Fermat (Toulouse) dirigée par Laure Gicquel
* En scène
« Attends, attends faut que j’te raconte… » Une belle voix claire de femme – celle de Mélanie Briand – s’élève comme dans nos lectures d’enfant. Et comme lorsque nous étions une enfant, fascinée par les contes qu’une voix familière nous lisait, nous sommes très vite sous le charme.
« Tout sera différent, tu verras »…
Voilà, c’est ainsi que s’ouvre cet album à nul autre pareil dans les parutions du moment. En nos mains, une pochette noir et blanc nous montre une femme en marche. Vêtue d’une longue tunique blanche, presque monacale, elle s’abrite sous une ombrelle. Ses mains et ses avant-bras sont cachés par de longs gants. Elégance et détermination. Nous pensons à une femme dans un Orient du temps des colonies… Nous pensons à l’Indochine de Marguerite Duras. Mais un détail interpelle. Le visage est brouillé par des « pixels ». Irruption brutale de notre monde numérisée dans une image du passé ? C’est là que l’histoire commence. Déconnexion brutale entre passé et présent. Perte de conscience et perte d’identité.
C’est une histoire de femme qui sent que quelque chose ne va pas. Une chanson alors tourne dans sa tête. Une valse où s’élève une voix prophétique, une voix de Cassandre – Fille de Priam et d’Hécube, elle reçut d’Apollon le don de prédire l’avenir, mais comme elle s’est refusée à lui, ses prédictions ne seront jamais crues… Cette voix qui dit « Je finirai en poussière » sera-t-elle entendue ? Ce récit sera-t-il compris ?
S’il est un album qui sera perçu de mille et une façons c’est bien celui-ci. Et l’on imagine déjà les questions et les scrupules des programmateurs perplexes. Car il fait appel aux récits d’anticipation, à des textes en français et en anglais. Aux musiques pop, folk, rock, jazz, électro. A la mythologie, aux contes philosophiques. Tout à la fois. Et le réseau du spectacle vivant n’aime guère que l’on brouille les cartes… C’est pourtant ce qui fait l’originalité et la force de ce projet. Opéra –rock, conte chanté ? A chacun ses références. Il sera d’ailleurs facile de n’écouter que les chansons, français et anglais mêlés. Un vinyle a été pressé à cette intention. Leurs registres, leurs arrangements sont familiers. On se prend à fredonner, et l’on aurait même envie de danser.
Le projet est d’ores et déjà enrichi d’un clip – court métrage du titre Anastasia magnifiquement réalisé par Paul Gibert. Des images noir et blanc puissantes d’une femme – interprétée par Milu Milpop – égarée dans un monde désolé, une planète sans âme qui vive, avec pour seul compagnie un robot… Ces images font écho au récit, sans toutefois l’illustrer. Plus exactement, elles rappellent les sensations du personnage principal qui soudainement quitte ce monde, cette « vie préparée, prépayée, préméditée » si semblable à la nôtre. Elle perd contact avec ces « gens qui portent leur sourire en guise de costume ». Elle est maintenant un numéro, « 480 », au milieu de corps endormis, et nous suivons sa quête pour s’arracher à ce cauchemar et comprendre. « Que s’est-il passé ? » Elle ne saurait rester là, passive, dans un monde dévasté, réduit à néant.
Il s’agit bien d’une quête initiatique qu’escorte la musique. Elle s’en vient épouser les méandres des pensées, des sensations de l’héroïne. Le doute, la peur, l’espérance sont portées par les instruments appuyés par les voix, les chœurs… Des notes de piano apaisantes et des cordes succèdent aux cris déchirants de la guitare électrique. L’héroïne de ce conte est confrontée à la solitude avant que n’apparaisse le personnage qui l’aidera dans son chemin initiatique. C’est une vieille femme – la vieillesse est source d’enseignement – aux yeux sans couleur, signe de son état de conscience, comme d’autres personnages de conte sont aveugles. L’ennemi est nommé, ce sont les « machines », représentation métaphorique de ce qui, un jour, pourrait mener les hommes à leur anéantissement. Elles s’en prennent aux « éveillés » et s’en suit alors une terrible bataille. Ce sont les morceaux les plus longs de l’album, véritable épopée pour reconquérir sa part d’humanité. « 480 » survivra. L’histoire finit bien même si tout reste à faire, face à cette révélation : « nous sommes des corps endormis… nous rêvons notre vie… » Comme « l’allégorie de la caverne » nous l’avait déjà enseigné, cinq siècles avant Jésus-Christ.
Certes, libre à chacun de ne voir dans cet album qu’un récit d’anticipation ou de n’écouter que les chansons aux teintes pop. Il n’en reste pas moins que ce projet peut nous entraîner loin dans la réflexion au moment même où s’élèvent des voix pour nous inciter à nous réveiller, à revoir notre relation à la nature, à notre mode de consommation…
« Maintenant tu sais » conclut à notre intention la voix narratrice… On pense soudain au texte de Claude Nougaro, Plume d’Ange… « Qu’un seul humain te croie et ce monde malheureux s’ouvrira au monde de la joie. Qu’un seul humain te croie avec ta plume d’ange. » Les hommes seront-ils capables de comprendre le message de « 480 », revenue de son initiation les yeux sans couleur… Entendra-t-on enfin la voix de Cassandre ?