Le fil d’Ariane  (© Céline Lajeunie)

Le fil d’Ariane (© Céline Lajeunie)

23/​11/​2020 – Deuxième vague – Jours 18 à 24

Ouvrir ensemble l’écran de nos fenêtres – #3

Avec les publi­ca­tions de

Waj­di Moua­wad, théâtre de La col­line, Ben Mazué, Le pont des Artistes, Amé­lie-les-Crayons, label Néômme, Gilles Tcher­niak /​Ini­tia­tives Chan­sons, STiMBRE, le peintre Ray­mond Rochette, Le Bijou, Bou­can, Le théâtre d’An­gou­lême, David Sire & Cerf Badin, Koclair, Ser­vice cultu­rel d’Is­soire, Nuit du cirque 2020, ARTCENA , Ludor Citrik


Le fil d’Ariane

« Après les Pois­sons pilotes
qui ont accom­pa­gné le pre­mier confi­ne­ment,
il s’agit de faire de La Col­line
un métier à tis­ser contre nos déchirures. »

Waj­di Mouawad

C’est à nou­veau, comme lors de la pre­mière vague, le direc­teur du théâtre de La Col­line qui nous offre, dans son mani­feste, les mots pour le dire… Pour dire cette impos­si­bi­li­té de « rêver le futur », cette sen­sa­tion de se sen­tir pri­son­niers d’une ligne d’horizon brouillé, « s’emberlificotant, se tor­tillant, s’entortillant autour de nous, elle est deve­nue laby­rinthe, dédale… Et le théâtre de La Col­line de se lan­cer dans une série de pro­jets ori­gi­naux, tis­sant la parole entre artistes et spec­ta­teurs : « L’autre à l’horizon –fenêtre sonore » (depuis des pays dif­fé­rents, trois artistes en direct sur Face­Book racontent leur pré­sent) « Bouche à oreille » télé­pho­nique, « Cadavre exquis » (cor­res­pon­dance en vidéo), « Papiers bro­dés », « Poé­sie en boîte » (aux lettres !), « La Parole nochère » (télé­phone) autour de la mémoire des disparus.

Et nous, qu’avons-nous vu, enten­du ? Quels sont ceux qui, cette semaine, ont tis­sé notre fil d’Ariane ?

Nous écou­tons Quand je marche, chan­son extraite du nou­vel album de Ben Mazué, Para­dis fraî­che­ment sor­ti. Elle nous paraît si bien répondre à notre res­sen­ti… « Stop ! Ca y est, j’ar­rête de pen­ser, J’vais cou­rir, j’veux mar­cher /​Stop ! Allez, j’ar­rête d’me pres­ser /​J’vais cou­rir, j’veux mar­cher /​J’vais sou­rire. » En écho à la Parole Nochère du théâtre de La col­line, nous pour­sui­vons en regar­dant les images poi­gnantes du Pont des Artistes du 7 décembre 2016. Ben Mazué y lit la lettre fic­tive de sa mère dans l’au-delà, en réponse à sa chan­son Vivant.

Voi­ci main­te­nant que nous ouvrons, avec notre âme d’enfant jamais ras­sa­siée, le grand livre nou­vel­le­ment né d’Amé­lie-les-Crayons, La Ber­gère aux mains bleues, avec un texte de Pierre-Luc Gran­jon, avec des des­sins pleine page de Samuel Ribey­ron, gra­phiste auteur de ses pochettes d’albums. Il est ins­pi­ré d’une chan­son de 2012 Mon ami (Album Jusqu’à la mer) et de l’idée d’un fil de laine qui relie le monde… L’idée a fait son che­min, a valu des heures de dis­cus­sions, de pro­po­si­tions, d’écriture de chan­sons d’Amélie. Elle a fina­le­ment ras­sem­blé une grosse équipe de plus de trente per­sonnes, por­tée par le label Neômme et la mai­son d’édition Mar­got. Il est ques­tion d’appel de la mer, d’un monstre marin, d’une ber­gère, de ses enfants…et d’un déli­cieux chœur antique de mou­tons qui four­ni­ront l’indispensable laine pour ce fil sal­va­teur… « Garde le bout de laine, fils /​Ne le lâche pas ! » et un jour qui sait ce petit mor­ceau de laine pour­rait deve­nir « Un man­teau grand comme la terre /​Pour y cacher toutes les misères ». 

Nous pour­sui­vons avec l’un de nos ren­dez-vous quo­ti­diens, celui que nous donnent Gilles Tcher­niak et Ini­tia­tives Chan­sons. Dans le domaine de la Chan­son, Georges Bras­sens est sans aucun doute pos­sible, le fil d’Ariane le plus recon­nu, toutes géné­ra­tions confon­dues et, chose éton­nante, tous pays confon­dus. « Ses chan­sons ont été tra­duites et reprises dans plus de 40 langues et il compte plus de 1 000 inter­prètes à tra­vers le monde « nous dit Gilles qui a entre­pris de nous offrir, jour après jour, une balade autour du monde. « La pos­té­ri­té de Georges Bras­sens est pla­né­taire. Des sur­prises, des curio­si­tés, des perles ! » Comme en attestent déjà les trois pre­mières haltes : Paco Ibáñez, La mau­vaise répu­ta­tion en Cas­tillan, Dja­mel Dje­ni­dis et son orchestre El Dja­mi­la, Quand je pense à Fer­nande en chaâ­bi, Bad Repu­ta­tion, La prin­cesse et le Croque-notes en anglais. Aujourd’hui même, les femmes sont à l’honneur avec la 18ème des­ti­na­tion, Vic­to­ria April chan­tant Quatre –vingt-quinze- pour – cent

Les artistes ne cessent de tendre un fil d’Ariane entre pas­sé et pré­sent, d’assurer le récit, l’histoire… Ils nous aident ain­si à prendre de la dis­tance avec un pré­sent mor­ti­fère. Il en va ain­si du pro­jet de STiMBRE, autour de Jo Stimbre et Gaelle Chal­ton, qui asso­cie textes poé­tiques, musique élec­tro, art numé­rique. A proxi­mi­té d’une friche indus­trielle (anciennes cui­sines de l’HP Charles – Per­rens de Bor­deaux, ex entre­pôt mili­taire de Ber­ge­rac, usine tex­tile désaf­fec­tée en Haute-Vienne…) il pro­pose une rési­dence asso­ciant enfants des écoles, centre d’animation, Scène Natio­nale, EHPAD, pour pro­duire un spec­tacle unique…

A cette occa­sion, nous décou­vrons aus­si les pein­tures de Ray­mond Rochette (1906 – 1993) qui, jadis, à force d’obstination, finit par obte­nir de pou­voir poser son che­va­let au sein même de l’usine métal­lur­gique du Creu­sot. “J’aime les machines comme on peut aimer les fon­taines de Pro­vence ; les ate­liers me font pen­ser aux nefs des cathé­drales, et leurs lueurs aux fêtes noc­turnes sur le grand canal. Les dan­seurs de l’opéra n’ont pas de gestes plus beaux que ceux des ouvriers, Claude Lor­rain pei­gnant ses palais n’avait pas de plus pure joie que celle que j’éprouve en des­si­nant les ate­liers, le foi­son­ne­ment des tita­nesques assem­blages métal­liques me donne la joie du Pira­nèse, mais c’est la joie de Le Nain que je goûte en en glo­ri­fiant sou­deurs, meu­leurs, lami­neurs qui deviennent dans mes tableaux les magi­ciens d’une flam­boyante forêt, celle de la métal­lur­gie lourde.”

Ce fil d’Ariane, c’est aus­si celui que tissent en ce moment les cou­ra­geuses salles pri­vées de spec­ta­teurs. Cer­taines décident de mettre leurs res­sources visuelles et sonores au ser­vice de ren­dez-vous avec le public connecté…Ce qui peut don­ner lieu à des échanges inat­ten­dus, rom­pant avec l’isolement de nos pen­sées quand nous sommes dans une salle. Ain­si nous avons assis­té jeu­di à Le Bijou part en live du duo Bou­can (Mathias Imbert et Bru­noï Zarn) un concert « déca­pant », qui secoue les neu­rones, avec Ca va débor­der ou Tout ce qui ne vaut rien… On attend déjà avec impa­tience le pro­chain avec Dimo­né… Sûr que l’on ne s’endormira pas !

Le len­de­main à 13h, c’est le théâtre d’Angoulême qui accueillait David Sire et Cerf Badin (Fred Bou­chain), « une sieste musi­cale on line »…Avec eux « Tout est déjà là /​Tout est là /​et c’est fou » la ten­dresse, la dou­ceur, l’infinie poé­sie qui nous font « des feux, comme des fenêtres »… Envie de fer­mer les yeux… C’était tel­le­ment bon de lire les com­men­taires de ceux qui ne les connais­saient pas !

Enfin le soir même à 18h, on assis­tait à un Animatis’live pro­po­sé par le ser­vice cultu­rel d’Issoire en Auvergne, avec Koclair, accom­pa­gné au vio­lon­celle par Alexandre Per­ro­ny. Les chan­sons de l’album Adgre­dior alter­naient avec un entre­tien où les inter­nautes pou­vaient poser leurs ques­tions… On retien­dra à la fin ce joli moment d’évocation d’une école Jules Fer­ry, en briques rouges, une cour « où poussent des rêves… où s’ouvre le champ des pos­sibles »…

Ter­mi­nons cette rétros­pec­tive avec l’initiative d’ARTCENA, dix artistes invi­tés à réa­li­ser une vignette vidéo de trois minutes, pour répondre à l’annulation de la Nuit du cirque 2020. Décou­vrons la vignette vidéo du clown Ludor Citrik autour du mot « Morosophie ».