Mathilde - Je les signe tous- Studio Hébertot – 2017 (© Droits Réservés)

Mathilde – Je les signe tous- Stu­dio Héber­tot – 2017 (© Droits Réservés)

16 Décembre 2017 – Concert spec­tacle à écou­ter avec les yeux

Je les signe tous

Avec

Mathilde (textes – voix), Alexis Pivot co-écri­ture, May­lis Balyan (Chant­signe) Vla­di­mir Médail ( gui­tare en alter­nance  avec Antoine Lau­dière)  Colombe Bar­sacq (co-met­teur en scène)


Studio Hébertot (Paris 17ème)

Ela­bo­ré depuis de nom­breux mois, « Je les signe tous » se retrouve au coeur de l’ac­tua­li­té : har­cè­le­ments de rue à Paris et ailleurs, affaire Sarah à Pon­toise, scan­dale mon­dial Har­vey Wein­stein et ses consé­quences, les femmes et leur corps res­tent mal­trai­tés dans nos socié­tés. « On vit dans une socié­té plu­tôt machiste et phal­lo­crate, constate Colombe. Les femmes demandent un rôle non négo­ciable, on voit qu’il y a une inver­sion des valeurs, des hommes qui prennent conscience de leur res­pon­sa­bi­li­té et de leur capa­ci­té à agir. » Qu’en pense May­lis ? « C’est dif­fi­cile pour nous de se faire entendre parce qu’on est mal infor­mées et que l’illet­trisme est impor­tant chez les sourds. Par exemple un truc tout bête : com­ment arrê­ter d’a­voir des enfants, beau­coup de femmes sourdes ne savent pas ! Il existe une espèce de déni lié à la sur­di­té. Moi, j’ai la chance d’a­voir échap­pé à l’a­gres­sion, par mon milieu social. » Et elle a rejoint Mathilde dans son com­bat pour les femmes, en allant chan­ter avec elles lors du ras­sem­ble­ment pari­sien de la place de Répu­blique, le 29 octobre der­nier : « On a chan­té ensemble, moi en hau­teur sur un banc étroit en étant main­te­nue aux hanches par un homme cos­taud, s’en amuse-t-elle encore. Je suis pas­sée du désert au foi­son­ne­ment d’i­mages. Avant, j’é­tais juste une nana, main­te­nant un bel arbre, une forme d’é­pa­nouis­se­ment qui m’a faite pas­ser en peu de temps de la femme ado­les­cente à la femme adulte qui s’as­sume. » Laurent Lejard pour Yanous, le maga­zine fran­co­phone du handicap.

La Femme célé­brée en chansigne

Tous les same­dis jusqu’au 6 jan­vier, dans cet écrin du Stu­dio Héber­tot, il est pos­sible de faire cette expé­rience d’un spec­tacle chan­si­gné. Il faut donc main­te­nant se hâter ! Quand bien même il n’y aurait que cette curio­si­té, cet inté­rêt, la petite équipe créa­trice de ce moment de par­tage aurait gagné. Car on ne peut pas résis­ter à cette décou­verte sen­so­rielle de la musique et des mots tra­duits par les gestes, l’expression du visage, par le lan­gage du corps. On ne peut évi­ter de s’interroger alors sur le monde des sourds et mal­en­ten­dants, sur leur culture propre. De s’en rap­pro­cher intimement.

C’est d’ailleurs Colombe Bar­sacq, elle-même comé­dienne, chan­teuse et chan­si­gneuse, qui la pre­mière nous avait gui­dée vers cette forme de spec­tacle Elle nous était jusque là tota­le­ment incon­nue. Nous en avions été bou­le­ver­sée par la force, l’intensité et la beau­té qui se dégagent inévi­ta­ble­ment de cette langue des signes.

Aujourd’hui c’est l’univers de Mathilde, son expé­rience de femme chan­tante, de jeune fille puis de femme confron­tée aux regards por­tés sur ses ron­deurs. De femme qui s’accroche à son rêve d’amour, de femme amou­reuse mal­gré tout et contre tout, qui nous attend assise face à son double, son alter ego, May­lis Balyan qui n’a que le geste pour nous par­ler… C’est le ques­tion­ne­ment tel­le­ment actuel des rela­tions homme-femme enra­ci­nées dans une his­toire qui nous dépasse tant elle est ins­crite dans les gênes, les cel­lules, les mémoires, et qui pour­tant s’impose à nous, pareille­ment, hommes et femmes.

Le spec­tacle com­mence sur un geste déli­cat – même geste accom­pli par les deux comé­diennes en vis-à-vis – une mèche de che­veux que l’on rabat, un sou­rire, une main qui écrit. Très vite on com­prend que le texte est celui d’une jeune fille s’adressant à son jour­nal. Et disons que ces pre­mières minutes du spec­tacle sont sai­sis­santes de véri­té. Mathilde nous campe une ado­les­cente avec un jeu émou­vant de regards, de mimiques, une voix confi­den­tielle qui nous tient, nous happe. « Sais-tu com­bien de temps je t’ai écrit, com­bien de fleurs ont fané en espé­rant te ren­con­trer ?… » Le temps paraît si long, n’est ce pas, quand on rêve d’amour à 14 ans ? On sou­rit avec elle de l’arrivée du pre­mier Valen­tin. On se prend à s’attacher à cette inno­cence là, por­tée par le chant, par les accents doux, lan­gou­reux de la gui­tare, par les gestes aériens de Maylis…

Mais très vite, c’est le choc, la réa­li­té bru­tale, un matin chez les flics… Et là, c’est le corps debout de May­lis, la langue des signes, qui dit la vio­lence subie avec le plus de force.

Le pla­teau plon­gé dans le noir vient mar­quer les étapes de cette vie qui tente de com­prendre, qui s’arrache à ses doutes, qui tâtonne. Par­fois on l’avoue on perd un peu le fil dans ce récit… Les amours défilent, les heurts et malheurs…La perte, l’abandon mais aus­si le choix quand il s’impose pour sa sur­vie. Il faut par­tir. On com­prend peu à peu que les deux femmes qui échangent regards, gestes, sont bien plus que deux ver­sions d’un même récit. C’est incon­tes­ta­ble­ment celle qui n’a que son corps pour dire, qui « parle » le plus fort lorsqu’il faut enfin dire adieu… Pour sa sau­ve­garde, pour la conquête de soi, de sa liberté.

Le spec­tacle s’achemine alors vers une reven­di­ca­tion, celle des femmes et cette ques­tion qui taraude : « Mais qu’est-ce qu’il a le corps des femmes pour qu’on lui foute jamais la paix ? »

Dans ce spec­tacle l’homme est incar­né par la musique, par la gui­tare. Il est inter­ro­gé du regard avec dou­ceur par ces deux femmes et sa réponse est douce, suave… Serait-il celui par qui la récon­ci­lia­tion arrive ? N’est – ce pas lui, en effet, qui détient une bonne part du secret ? Le secret de cet « amour géné­reux qui libère tout, l’esprit, le corps, l’âme, la tête, le cœur, la voix »…

Avec Colombe et son com­bat pour que s’estompent les dif­fé­rences, avec Mathilde, avec May­lis, avec leur corps, leurs gestes, avec le chant, avec la gui­tare, on veut croire de toutes nos forces à la pos­sible conquête d’un monde har­mo­nieux pour nous, hommes et femmes sem­bla­ble­ment libres et fiers de nos corps. C’est sans doute le sens à don­ner à l’ultime chan­son de Mathilde, chan­son d’amour adres­sée à tous les hommes.