Détours de Chant 2018 – Presque Oui (© Franck Loriou)
30 janvier 2018 – Détours de Chant – Presque Oui, 20 ans, 20 dates
Première partie : chœur Voix Express, Un peu de Prévert
Avec
Le Chœur Voix Express dirigé par Hervé Suhubiette, Lucas Lemauff (clavier, trompette) et Alice Bénar.
Avec la participation d’Éloïse Chadourne (chant), Frédéric Cavallin (batterie).
Thibaud Defever (guitare, chant) Rachid Bouali (mise en scène et co-écriture du spectacle)
Invité : Hervé Suhubiette
Espace Bonnefoy (Toulouse)
Vous avez bien dit « embellie » ? Éclaircie du ciel pendant le mauvais temps et la pluie ?
Outre que le mot sonne bien joliment à nos oreilles, oui, cette soirée nous a donné une sensation d’éclaircie dans notre ciel en-chanteur[S]. Tout y était évident, simple, généreux et profond. Cette chanson, cet art populaire dont nous défendons jour après jour la place dans nos vies, y trouve son expression la plus évidente.
La soirée s’ouvre sur une première partie joyeuse, colorée où s’expriment Voix Express, des choristes amateurs littéralement emportés, transportés, galvanisés par des chanteurs musiciens dont nous connaissons et reconnaissons le talent et l’enthousiasme. A tour de rôle nous verrons Hervé Suhubiette, Lucas Lemauff, Alice Bénar et Eloïse Chadourne donner eux aussi de la voix et diriger l’ensemble. Ça swingue, ça balance, ça pulse entre piano et batterie.
Vous reprendrez bien un peu de Prévert « sur nos cœurs endoloris » ? Qui pourrait s’y opposer ? On avouera au passage notre prédilection pour cet auteur qui sut dire comme personne l’amour de la vie et son engagement auprès des plus humbles et des plus démunis… Prévert, le poète pour qui l’oiseau donne l’exemple… C’est tout dire n’est- ce- pas ?
Alors on se délectera de la mise en musique de cette petite seconde d’éternité du baiser amoureux au parc Montsouris et du solo de Lucas Lemauff à la trompette. De Déjeuner du matin, Chanson de l’oiseleur « C’est ton cœur jolie enfant/Ton cœur qui bat de l’aile si tristement /Contre ton sein si dur si blanc », Le temps perdu pour le patron, Quel jour sommes-nous, ce bel hommage à l’amour, sans oublier son « tendre et dangereux visage… sa trop brulante blessure » où Thibaud Defever (Presque Oui) vient poser les notes délicates de sa guitare. On ne remerciera jamais assez Voix Express de nous avoir aussi offert le texte essentiel, majeur – hélas douloureusement actuel – d’Etranges Etrangers. Cette première partie s’achève avec les couleurs arc-en-ciel de la chanson, cette chanson qui coûte que coûte traverse le temps, Volets ouverts volets fermés :
… des lilas plein les bras /et brune et blonde et rousse /une chanson pieds nus traverse la maison /comme elle a par ailleurs /traversé les saisons… »
Quand Thibaud Defever prend place dans une semi-obscurité, avec sa chanson douce, seulement accompagnée de ses mains frappant le haut de son buste, on pense encore aux couleurs laissées dans notre ciel intérieur par la première partie.
Le concert de l’homme seul derrière son micro, avec cette guitare dont il tire des sons et des effets incroyables tout en sobriété et délicatesse, commence comme un voyage… léger…oui, léger… Il faudrait pouvoir, savoir, laisser tout derrière soi, oublier d’où on vient… « Au gré du rail je dérive », chante-t-il. Nous aussi… « Tout s’éteint, tout s’efface », et nous sommes là, dans l’obscurité, chacun dans notre bulle à croire que c’est pour nous seul qu’il chante.
Thibaud Defever célèbre 20 ans de route et pour l’occasion il se raconte un peu, rend un hommage sans emphase, à ses compagnons et compagnes de route. Au gré des titres qu’il annonce avec humour souvent, autodérision, il retrace l’histoire de Presque Oui, les chansons écrites avec Isabelle Haas en bord de mer du nord ou dans le Morbihan, le duo avec Marie-Hélène Picard, si douloureusement interrompu par la maladie – nous faire entendre sa superbe voix et l’accompagner Au bout du monde est un moment d’une rare intensité – puis le duo avec le violoncelliste Sylvain Berthe, le trio avec Benjamin Vairon à la batterie et Xuan Lindenmeyer à la contrebasse, le retour au solo enfin…
Ce que l’on retient de cette évocation c’est l’émerveillement et l’envie d’y croire toujours. La vie comme une force qui va : « J’ai beau dire, j’ai beau faire à chaque fois j’y crois… Les mirages ont toujours raison… »
Bien sûr on ne saurait évoquer ce concert sans parler de ce talent pour tout dire avec le minimum, ce minimalisme, et dans le geste et dans les mots… Ce presque rien qui nous emmène irrésistiblement dans son monde fait de tendresse, d’humour, d’humanité. On le suit dans cet appartement où l’eau monte et dans son entêtement : « Je veux être sauvé par ma voisine du haut »… Dans sa suspicion pour les amours inconditionnelles, « Les longs soupirs, les envolées lyriques », dans son émotion devant la dernière séquence des 400 coups qui fit naître une chanson « Est-ce qu’on y croit encore à l’appel du lointain ? » Dans son rêve troublant qui le transporte « bien plus tard, vers la fin du trajet »… C’est alors qu’il s’efface doucement en reculant dans l’obscurité, pour revenir dans lumière « J’ai la vie devant moi ». On voudrait le suivre quand il chante « Aimons-nous, même vacillants », rire avec lui de nos vœux lancés au hasard en regardant filer les étoiles, rire aussi de nos efforts un soir d’anniversaire pour « sortir de [nos] gonds », nous « désinhiber pour de bon » !
Quand il invite Hervé Suhubiette, il l’accompagne délicatement sur Aquarelle, offrant de nouvelles couleurs à cette belle chanson, avant d’entonner avec lui un duo amoureux, souvenir d’un temps enfui, celui de Mireille et Jean Nohain : - « Presque oui, presque tout /Nos yeux fous l’ont promis. /Quelle douceur infinie ! /- C’est exquis, merveilleux. /Nos deux yeux éblouis /Se sont croisés et l’ont dit : presque oui. »
L’ensemble de ce concert, les deux chansons finales, La bicyclette, hommage beau et douloureux d’Hervé à Pauline Julien, enfin l’appel de Thibaud à laisser grand ouverte notre porte, nous laisse à l’âme un bien délicat souvenir. Un appel à la force de vivre dont ce séquoia tatoué dans le dos pourrait bien être le symbole :
« Nous déploierons nos envergures, plus haut, plus loin »…