B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Fes­ti­val Détours de Chant 19ème– J’ai man­gé du Jacques (©Paul Loyer)

7 février 2020, 19ème Détours de Chant, théâtre musi­cal avec des reprises d’un tas de mecs qui s’appellent Jacques … Brel, Dutronc, Hige­lin, Pré­vert… et tous ceux, auteurs ou com­po­si­teurs qui se cachent sous le nom de leurs interprètes…

J’ai man­gé du Jacques

Avec

Julie Autis­sier (pia­no, mélo­di­ca, flûte à bec, pia­no à pouce, voix) & Raphaël Cal­lan­dreau (pia­no, gui­tare, voix)


Théâtre du Centre – Colo­miers (Haute-Garonne)

Par­mi les salles par­te­naires du fes­ti­val Détours de Chant, il y a ce petit théâtre de Colo­miers, à l’ouest de Tou­louse, deve­nu trop petit pour l’appétit de ses fidèles curieux… Un petit théâtre comme ceux que chante Coren­tin Grel­lier « ces petits lieux, ces endroits de poé­sie, où les gens peuvent se ren­con­trer et se racon­ter » et dont il faut prendre grand soin. Quoi de plus évident que d’y assis­ter à l’un de ces spec­tacles théâ­tra­li­sés que la Chan­son sait inven­ter pour naître et renaître dans le cœur de ses amou­reux… Un spec­tacle qui vous pro­mène dans nos sou­ve­nirs, dans ces chan­sons du quo­ti­dien qui ont tis­sé notre décor sonore sans même que nous le choi­sis­sions, qui ont nour­ri nos ima­gi­naires… C’est de cette nour­ri­ture là dont il est ques­tion ce soir…

Les duet­tistes, Julie Autis­sier et Raphaël Cal­lan­dreau entrent en scène en for­çant le trait. Ils mâchouillent, déglu­tissent en s’emparant du pla­teau où les attentent leurs ins­tru­ments, les micros… Leur tenue de scène, la cra­vate rouge pour lui, la petite robe noire de cir­cons­tance, la cein­ture et les talons rouge pour elle, la ron­deur si gra­cieuse et si ave­nante de sa sil­houette de Bet­ty Boop, leur conni­vence qui s’installe d’emblée, la musique du géné­rique du film Mon oncle de Jacques Tati que nous aimons tant, tout, oui, tout nous invite à dégus­ter… L’appétit nous vient…

Pour mise en bouche, en un ins­tant ils ont déjà offert, , un pot-pour­ri enle­vé, joyeux où se mêlent Brel, Pré­vert, Dutronc, Offen­bach, une comp­tine… Frères Jacques évi­dem­ment ! Ils enchaînent dans une inter­pré­ta­tion où émerge leur talent de comé­diens avec Fais pas çi, Fais pas ça … Du Dutronc ser­vi par un cer­tain Jacques Lanz­mann, très vite rejoint par le sou­ve­nir cham­pêtre de Mireille et Jean Nohain chan­tant Cou­chés dans le foin créé par Jacques Pills. La dou­ceur du sen­ti­ment amou­reux, la chan­son s’en repait, s’en abreuve et c’est si bon d’y croire en écou­tant l’un des savou­reux duos de Jacques Demy. L’image jeune et belle de Cathe­rine Deneuve s’en vient alors sûre­ment titiller cha­cun de nous… Mais pas le temps de s’y attar­der car arrive l’instant comique consa­cré à la part de notre ana­to­mie sans laquelle nous ne serions pas là… Les fesses, chan­son créée par les Frères Jacques… Le jeu nous plaît évi­dem­ment beau­coup…. On s’y attarde bien un peu avant que la ten­dresse ne reprenne ses droits, en avant scène, sans micro, avec le superbe poème de Jacques Pré­vert Les enfants qui s’aiment, dans un accom­pa­gne­ment mini­ma­liste et inti­miste de petites per­cus­sions. Un ange passe juste à temps pour écou­ter et s’imaginer la pathé­tique scène de sépa­ra­tion, une scène de ciné­ma avec Orly de Jacques Brel. Un chan­ge­ment de rôle – elle se met au pia­no – une réplique légère et hop, nous remon­tons l’année à l’envers avec Jacques Hige­lin. Et c’est en duo qu’ils inter­prètent un bijou de chan­son des années 70, à décou­vrir, redé­cou­vrir La branche, créée par les Frères Jacques… « C’est comme ça qu’on vit sa vie on est sur une corde raide /​A chaque ins­tant on croit qu’elle cède / Et puis un peu de soleil luit, /​Et on oublie… »

L’émotion nous gagne inévi­ta­ble­ment… Alors il est bon de se délec­ter ensuite d’une ver­sion inat­ten­due de la chan­son immor­ta­li­sée par Claude Fran­çois mais signée Jacques RevauxComme d’habitude puis du Duo des Théâ­treux, texte écrit par Jacques Mou­ge­not, décla­ra­tion d’amour au théâtre au mitan du spec­tacle qui s’achève avec Une petite fille en pleurs, dont Jacques Datin signe la musique pour Claude Nou­ga­ro

Dans le cri des « Je t’aime » de la fin de la chan­son le chan­teur quitte la scène… et revient pour enchaî­ner des titres – « dou­dous » pour cer­tains – les géné­riques de des­sins ani­més signés Jacques Car­do­na : Ins­pec­teur Gad­get, Ulysse revient, Les cités d’or… Après cette échap­pée en enfance, le duo nous offre un savou­reux play­back : une ren­contre télé­vi­suelle entre Jac­que­line Jou­bert et Jacques Douai, sui­vie de Col­chique dans les prés et Démons et mer­veilles chan­tés par Jacques Douai. S’enchaînent ensuite l’émouvante chan­son de Jacques Brel Sur la place, puis un temps de gri­se­rie – inévi­table dans un bon repas ! – où s’exerce encore le talent de comé­dienne de Julie dans Je suis un peu grise sur une musique de Jacques Offen­bach

C’est avec une chan­son qui va si bien à Jacques Brel, à son incroyable des­ti­née « Allons il faut par­tir/​N’emporter que son cœur /​Mais aller voir ailleurs/​Allons il faut par­tir /​Trou­ver un para­dis… » déli­ca­te­ment accom­pa­gnée au pia­no à pouce que l’on s’achemine dou­ce­ment vers la fin du ban­quet… On reste dans cette douce atmo­sphère musi­cale avec Paris s’éveille, nou­velle asso­cia­tion des deux Jacques, Dutronc et Lanz­mann… Et sou­dain le rapide tra­ves­tis­se­ment de Julie en gamine – les che­veux réunis en deux couettes font l’affaire – nous trans­porte dans un épi­sode hila­rant de l’Ecole des fans pré­sen­té par Jacques Mar­tin. Et pour des­sert, nous sommes empor­tés dans l’énergie fes­tive de Tom­bé du ciel de Jacques Hige­lin. Alors on a très, très envie de chan­ter tous ensemble, jamais ras­sa­sié de chan­sons, comme dans toute fin de banquet :

« Tom­bé sur un jour de chance
Tom­bé par inad­ver­tance amou­reux
Tom­bé à terre pour la fille qu’on aime
Se rele­ver indemne et retom­ber amou­reux
Tom­bé sur toi, tom­bé en pâmoi­son
Ava­lé la ciguë, goû­té le poi­son qui tue 

L’a­mour

L’a­mour encore et tou­jours »