Haï­ku d’peinture – JY Lié­vaux – V. Cayol – mai 2020 (©Alcaz)

18 mai, en ces temps d’incertitude, les poètes élèvent la voix

La poé­sie ? Une néces­si­té absolue !

Avec

auteurs, musi­ciens, comé­diens, chan­teurs, en gras dans le texte


« L’idéal, c’est d’avoir un rap­port poé­tique à la vie, au quo­ti­dien… La poé­sie, une néces­si­té abso­lue, une manière de vivre… de se réjouir de l’existence, d’être éveillé aux signes… » Ces mots, ce sont ceux du comé­dien Denis Lavant au cours de sa « mas­ter­classe » à Avi­gnon en 2017, un entre­tien que l’on peut encore écou­ter sur France Culture. Cet échange, sur fond de chant des cigales, pour­rait bien nous don­ner à voir ou revoir notre rap­port au monde.

Et s’il nous suf­fi­sait d’habiter poé­ti­que­ment le monde ? Et s’il s’agissait de répondre par la Beau­té, de la recons­truire face à la menace de la mala­die et de la mort, ain­si que nous y incite le poète et phi­lo­sophe Fran­çois Cheng ?

Cer­tains semblent don­ner plei­ne­ment rai­son à ces recom­man­da­tions et nous indiquent de mul­tiples façons la voie à suivre, où qu’ils se soient trou­vés pen­dant les der­nières semaines.

Pen­sons à Fran­çois Morel, à sa chro­nique du ven­dre­di 8 mai sur France Inter. Avec « l’accompagnement de tout son orchestre », à savoir l’accordéon d’Antoine Sah­ler, annonce- t‑il mali­cieu­se­ment, c’est en vers, usant de l’anaphore « Je mour­rai bien un jour » qu’il aborde la ques­tion de sa fini­tude, ima­gi­nant tous les sce­na­rii pos­sibles. Et pour­quoi pas « En plein champ, par­mi les fleurs sau­vages /​En obser­vant là –haut les mer­veilleux nuages » ?

C’est encore lui qui nous offre de savou­rer chaque mot du poème de Louis Ara­gon, extrait du Dis­cours à la pre­mière per­sonne auquel Jean Fer­rat a don­né sa popu­la­ri­té « Ah je suis bien votre pareil /​Ah je suis bien pareil à vous… » (J’entends, J’entends) dans « Les pas­tilles poé­tiques du confi­ne­ment » pro­po­sées par la Mai­son Triolet-Aragon.

Gui­dés par les poètes, par ceux qui leur prêtent leur voix, on vou­drait bien « au ciel bleu croire »…

Comme lorsque l’on découvre le poème écrit le 20 avril 2020 par René Fré­gni voya­geant « dans les jar­dins oubliés de [son] enfance », où règne la figure tuté­laire d’une mère. « Les mots lui sont entrés dans la tête par sa voix » lui lisant Les Misé­rables de Vic­tor Hugo, avait –il révé­lé lors d’une émis­sion de La Grande Librai­rie en 2016. Bien plus tard c’est encore elle qui lui ouvre des hori­zons insoup­çon­nés en lui offrant Col­line de Jean Gio­no, cette langue char­nelle, riche de méta­phores dont il sui­vra l’ardeur pas à pas, épreuve après épreuve – sa vie n’en manque pas – « J’aime par­tir cher­cher des mots sur les che­mins, je fais un pas, je trouve un mot, un autre pas… J’a­vance dans des forêts de mots, je me perds dans des poèmes qui sentent le cham­pi­gnon, la liber­té et l’au­bé­pine. » Quel bon­heur vrai­ment de lire cette quête et décou­vrir qu’elle entre en réso­nance avec celle d’Her­vé Lapa­lud, adres­sant le 15 mai une « Lettre aux mots » : « Petit, je vous aimais déjà… Chaque fois que j’apprends sur vous, il me semble que j’apprends sur moi […] Des fois, je vous perds, je vous cherche[…] Des fois, vous êtes coin­cés dans ma gorge, dans mon ventre[…] Des fois vous n’en faites qu’à votre tête et dan­sez dans la mienne… »

S’abandonner à la musique des mots émi­nem­ment poé­tiques comme ceux d’Albert Camus dans Noces que nous fait entendre la voix de Michaël Man­sour dans « La minute de poé­sie ». Tipa­sa, la terre d’été en Algé­rie, c’est une sym­pho­nie de cou­leurs, de par­fums… « Nous mar­chons à la ren­contre de l’amour et du désir… » C’est sans aucun doute aus­si ce che­min vers les « Grands Clas­siques » que par­court le sla­meur Zédrine quand il entre­prend de les dire et de les accom­pa­gner de musique élec­tro­nique comme il l’a fait avec Nuit de Décembre d’Alfred de Mus­set, cette confron­ta­tion avec l’autre soi-même… « Aller seul à la source » de ce qui l’a nour­ri et nous faire par­ta­ger cette réminiscence.

Il sem­ble­rait que l’épreuve de la soli­tude, de l’enfermement ait été pro­pice à ce retour aux jeux poé­tiques comme nous l’a démon­tré dans ses publi­ca­tions sur le réseau Face­Book Yvan Cujious, auteur, com­po­si­teur, inter­prète, jour­na­liste (Sud-Radio, Loft Music). On a pu ain­si décou­vrir dans une publi­ca­tion cet exer­cice de style : « Aujourd’hui, en ce Same­di, j’a­vais envie de paraître … /​Enfin j’avais envie du MOT « paraître ». / Il a en effet une musi­ca­li­té inté­rieure inté­res­sante, per­cus­sive et rou­lante dans le haut du palais. /​Paraître avec le R rou­lé ! Du point de vue du sens, c’est aus­si inté­res­sant je pense, car « paraître » c’est « être par », c’est-à-dire « à tra­vers ». /​Paraître, ça n’a pas l’air, mais c’est « pas être » à l’R prêt. /​L’air de rien, ça ne vous a pas échap­pé…. »

Et puisque les mots « exer­cice de style » sont pro­non­cés, son­geons aux ate­liers d’écriture orga­ni­sés à dis­tance par Xavier Lacou­ture dont le maga­zine web Hexa­gone publie actuel­le­ment dix séquences avec quelques illus­tra­tions poé­tiques en images. On a eu plai­sir à y retrou­ver notam­ment Boule, Hil­de­brandt, Kel­ka, Oli­vier Eyt, Emi­lie Per­rin /​La Reine des aveugles… à consta­ter que les par­ti­ci­pants étaient dis­per­sés aux quatre coins de la France et même au Qué­bec… C’est un cadeau, disons-le, de voir ain­si mis à notre dis­po­si­tion des séquences d’écriture où les contraintes empruntent à des sup­ports (phrases extraites d’un roman, d’un poème, mots à insé­rer, images) impo­sant une dis­po­si­tion de rimes, un nombre de strophes/​cou­plets, une lon­gueur des vers etc… Bref, tout un arse­nal d’outils pour cha­touiller l’imagination, titiller les plumes engourdies.

C’est l’occasion de rap­pe­ler ces mots de Guillaume Apol­li­naire dans la Lettre à Lou du 18 jan­vier 1915 : « Je sais que ceux qui se livrent au tra­vail de la poé­sie font quelque chose d’essentiel, de pri­mor­dial, de néces­saire avant toute chose, quelque chose enfin de divin. » Voi­là qui est dit et que cultive pas­sion­né­ment le duo Alcaz’ quand il publie régu­liè­re­ment une pein­ture (Viviane Cayol) illus­tré d’un haï­ku (Jean-Yves Lié­vaux) à moins que ce ne soit l’inverse… De quoi ins­pi­rer une publi­ca­tion comme l’ont fait Mat­thias Vin­ce­not (textes) et Julie Biet (pho­to­gra­phies) dans Ins­ta­poèmes publié aux édi­tions du Mont-Ailé l’an passé.

Lais­sons pré­ci­sé­ment à Mat­thias Vin­ce­not, poète qui pré­side aux des­ti­nées du fes­ti­val DécOu­vrir de Concèze, et au Prix Georges Mous­ta­ki, les mots de conclu­sion pour ce prin­temps si sin­gu­lier, extraits de son poème A tra­vers la fenêtre dit par Didier Fla­mand, accom­pa­gné par la musique d’Etienne Cham­pol­lion pour quinze cla­ri­net­tistes du Conser­va­toire du Grand Poitiers.

Et puis

Dans ma tendre escapade

Je serai rajeuni

J’aurai encore envie 

De vélo dans les airs 

De ruis­seaux infinis 

Et de pauses champêtres

Annonce :

Ren­dez-vous slam & poé­sie, Jeu­di 21 mai à 20h30 « Live Face­Book et You Tube » ani­mé par Joe /​Kevin Goret, pro­po­sé par les Amis du Verbe en Com­minges et Le Bijou pour défendre « l’oraliture », selon l’expression chère à Dick Anne­garn.