Elles & Barbara, juin 2017 (© Stéphane Manel/Le Studio be-poles)
9 juin 2017 – Elles & Barbara
Sortie de l’album
Zazie (La solitude), Jeanne Cherhal (Nantes), Julie Fuchs (Göttingen), Dani (Si la photo est bonne), Angélique Kidjo (Le soleil noir), Nolwenn Leroy (Dis, quand reviendras-tu ?), Louane (Mon enfance), Daphné (Marienbad), Olivia Ruiz (Gueule de nuit), Virginie Ledoyen (Cet enfant-là), Juliette Armanet (L’aigle noir), Élodie Frégé (Parce que je t’aime), Melody Gardot (C’est trop tard)
Edith Fambuena (direction artistique, réalisation, programmation)
Jeanne Cherhal (piano), Agnès Imbault (piano, claviers, orgue, harmonium, percus corporelles), Julie Gomel, Marie Lalonde (guitares, bouzouki, ukulélé, toms), Katel (guitare, basse, clavier basse, percussions), Zoé Hochberg (batterie, toms, percus corporelles), Elena Azevedo Da Silva (harpe électrique), David Salkin (tambourin), Alexis Anérilles (clavecin, buggle), Guilhem Valayé (répétiteur)
L’histoire de Barbara, Il était un piano noir commence le 9 juin 1930. Il y a vingt ans, au printemps 1997, elle commençait à écrire ses Mémoires… Elle fut brutalement interrompue quelques mois après.
C’était déjà trop tard pour lui dire que nous l’aimions tant !
Le 9 juin 2017, Barbara, majestueuse sur cette pochette blanche d’album, est grandement honorée. Plusieurs générations de femmes sont venues poser délicatement, amoureusement leur voix sur treize chansons dont certaines sont élevées au rang de patrimoine national. C’est dire le défi de cet album qui paraît aujourd’hui !
On commencera par quelques images diffusées avant sa sortie : en début de vidéo, celles de Juliette Armanet en studio, derrière le micro, interprétant L’aigle noir, chanson mythique, au-delà de toute autre. Autant dire, quasiment intouchable… Les mains volent, dessinent de tendres arabesques autour du visage… La voix est mesurée, sans effets. Juste là. Posée comme un papillon sur la corolle d’une fleur… Un effleurement de la chanson… Puis ces mots de l’interprète, qu’accompagne encore le langage des mains pour dire la difficulté de reprendre cette beauté… L’idée qu’il faut se glisser, subrepticement, respectueusement dans l’interprétation d’un tel patrimoine.
Voilà pour dire l’impression dominante. Pour le reste on laissera à Édith Fambuena, l’âme de cet enregistrement hautement féminin – elles sont vingt dans ce projet ! – exprimer l’essentiel. Il fallait, dit-elle, que ces artistes, parfois intimement liées à Barbara, comme Jeanne Cherhal ou Daphné, il fallait « qu’elles coupent le cordon ». Quant à la justesse, c’est au prix de ses larmes qu’elle en a jugé… « Quand on avait l’essence de la chanson… à chaque fois, je pleurais ». C’est dire la part d’émotion, la part de frissons, de vibrations qui ont réuni ces femmes autour de cet hommage.
Certes, on ne manquera pas de souligner la dimension commerciale d’un projet signé Universal, éminemment teinté d’opportunisme… Soit… On ne saurait le nier et le choix des interprètes en témoigne.
Mais on est en présence d’un album bouleversant, une histoire d’amour sans contestation possible. Les chanteuses n’y font pas de la performance, comme le souligne Édith Fambuena… « Il y a de l’humilité » et elle s’entend. On ne peut pas aborder le répertoire de Barbara autrement que dans la retenue. C’est là le maître mot de ce que l’album nous offre. Les voix effleurent le plus souvent le texte. On citera une fois encore la performance de Juliette Armanet, accompagnée seulement par Agnès Imbault au piano, rompant ainsi avec l’orchestration que nous avons tous en tête. La voix se meurt à la fin… Comme un rêve (un cauchemar ?) qui prend fin.
Avant tout on ajoutera combien la recherche instrumentale s’éloigne le plus souvent de l’atmosphère originelle. La guitare électrique en particulier colore les chansons de teintes nouvelles. Ainsi, on aime La solitude interprétée par Zazie, cette version inaugurale de l’album qui théâtralise si bien la figure allégorique de « la garce, la renifleuse des amours mortes » ou bien Parce que je t’aime par Élodie Frégé. On note avec une immense satisfaction que la voix est au tout premier plan sur l’ensemble du disque, nous offrant ainsi une relecture limpide des textes. Quel bonheur de sentir la présence, le souffle, la respiration de Julie Fuchs dans Göttingen. Et ces chœurs qui s’élèvent à la fin sur le solo de guitare !
On est émue aussi du choix des chansons, comme une petite lucarne ouverte sur l’univers de l’interprète. Jeanne Cherhal choisit Nantes, sa chanson préférée dit-elle. Sa voix y paraît presque enfantine, son piano égrène ses notes goutte à goutte comme cette pluie qui inonde le souvenir. Nolwen Leroy accorde sa belle voix à Dis quand reviendras-tu ? où le bouzouki s’invite délicatement sur le refrain. Olivia Ruiz mutine sur Gueule de nuit, de sa voix qui pourrait évoquer celle d’Arletty. La fin de la chanson incite à la danse, à cette légèreté un peu canaille qui pouvait être celle de Barbara : « Viens, la ville s’allume /Et Paris s’emplume »… Chaque chanson offre son lot de surprises comme l’effet cinématographique de la voix de récitante de Virginie Ledoyen dans Cet enfant-là, l’une des chansons les plus intimes de Barbara qui sut chanter l’indicible, comme le souligne Dani. Avec Si la photo est bonne, introduite par des sons électros, elle ne nous étonne guère, Dani, avec une version parlée-chantée, loin des sentiers tracés. Le personnage de cette femme de président, n’en est que plus inquiétant.
Bien entendu on ne saurait rendre compte de cet album sans parler de l’interprétation inattendue du Soleil noir par la chanteuse africaine Angélique Kidjo. Elle emporte ce titre éminemment combatif, généreux, engagé – comme sut l’être Barbara sa vie durant – dans une rythmique presque « nougaresque » où s’entendent des battements de cœur, pulsions de vie contre le désespoir. On avouera être moins convaincue par Louane dans Mon enfance, accompagnée sobrement du piano. On a perdu du pouvoir émotionnel de cette immense chanson… Voix trop fraîche, trop jeune, pour cette évocation de femme mûre ? Débit trop rapide ? Parfois il est si difficile de dire ce qui nous laisse sur la rive et puis cette chanson de Barbara nous est si proche…
Enfin pour juger des arrangements, on s’attardera sur ceux de Marienbad, chantée par Daphné. Le clavecin vient y mettre sa note baroque dès l’ouverture. Le souvenir de ce « parc lourd et sombre » se dessine… Une fois encore les instruments s’effaceront presque par instants pour laisser venir le trouble de l’évocation presque surnaturelle… On aime ce petit rire qui s’échappe à la fin… les chœurs… « Nous danserons encore /Là-bas à Marienbad ».
Pour conclure, on s’arrêtera sur la dernière chanson, sur son message essentiel, sur la voix presque murmurée à l’oreille, presque fragile, de Mélody Gardot dont on pressent l’émotion soulignée délicatement par les arrangements subtils des guitares, posées sur les notes du piano, dans C’est trop tard…
« C’est du temps de leur vivant /Qu’il faut donner à ceux qu’on aime… »