Pic d’Or 2018 (© Artwork/Pixbynot)
25 & 26 mai 2018 – Pic d’Or
Tremplin chanson francophone
Avec
Les candidats par ordre de passage lors des auditions :
Claire Faravajoo, Baptiste Braman, Gervaise, Romain Provence, Nirman, Benjamin Conte, Lombre, Centaure, Esparto, Julien Estival, Thibalut Eskalt, Zoé Simpson, Arash Sarkechik, Thelma, SiAu, Ravages, Alysce, Woondor, Coloris, Livia, Lembe Lokk, Massy Inc
& Le parrainage de Cali
Théâtre des Nouveautés à Tarbes (Hautes Pyrénées)
Du velours et des ors pour le Pic d’Or
Le Théâtre des Nouveautés à Tarbes c’est un écrin. Du velours et des ors pour des chansons que je ne connais pas encore ou si peu. Un voyage immobile en terre inconnue. J’aime ce lieu, ne serait-ce que parce qu’il y a bien longtemps j’y ai découvert Angélique Ionatos. Ce souvenir suffit à me le rendre attachant.
Et puis, le Pic d’or c’est une équipe, des bénévoles en coulisses, hors scène, auxquels je m’attache au fil des éditions… Sans eux rien ne serait évidemment possible ! En scène ce sont des professionnels remarquables qui opèrent. Imaginez-vous ce que représente un changement de plateau toutes les cinq minutes ? Sophie, aux lumières – il faut la voir au pupitre ! – Pascal à la vidéo et là, c’est carrément magique. En fond de scène, c’est un flot de couleurs et de formes qui se meuvent au rythme de la musique.
Arrêt sur image
En résumé les vingt trois chansons entendues – une chanson par candidat – m’ ont offert un tableau. Un arrêt sur image, un cliché de la Chanson émergente. Sans bien sûr prétendre épuiser le large panel de propositions de la Chanson, enclave des musiques actuelles.
Toutefois, il s’en dégage quelques points forts.
Il faut d’abord admettre – c’est acquis quoi qu’on puisse en penser- la place accordée à l’informatique, aux machines, à l’électronique… « La pomme » se taille la part du lion, croyez-moi ! Sans pour autant exclure la force tranquille, la pertinence, la puissance émotionnelle d’une clarinette ou d’un violon, encore moins d’une interprétation guitare –voix ou piano –voix… Exercice noble à jamais.
Ensuite – est-ce l’effet « Weinstein » ? – je dirais que la première journée (audition et demi-finale) m’a semblé dominée par les filles. Amazones, conquérantes, audacieuses, troublantes, engagées. Elles s’emparent de la scène comme d’un ring. Leurs textes hument l’air du temps… Certes, je suis femme, et ma sensibilité à ces questions justifie sans aucun doute cette lecture partiale et partielle.
Le groupe Thelma avec son titre Amazone, Gervaise, chanteuse aux paillettes, qui finit poing levé sa chanson Le silence des femmes, Centaure, corps couverts de tatouages, robe rouge et son titre La peinture de ma mort, Zoé Simpson et son Iphigénie, bouleversant hommage aux sacrifices des femmes, Lembe Lokk, chanteuse estonienne, et son émouvante mélancolie de chanteuse folk, Alysce, et l’ensorcellement de sa guitare classique…
Il est vrai que c’est à l’ombre de Barbara Weldens, femme debout s’il en fut, que se déroule cette édition. Lauréate 2016, Barbara était en concert sur cette même scène il y a un an. Un hommage lui sera rendu en ouverture de la finale. Des images mais aussi des mots justes et poignants, ceux que lui adresse – au delà du silence et de l’absence, au-delà de sa disparition tragique- le journaliste Patrice Demailly.
Enfin et surtout l’édition 2018 a confirmé que dorénavant il ne sera plus nécessaire de « chanter » pour être répertorié dans la catégorie « Chanson » – en attendant de trouver un mot plus adapté à cette variété d’interprétations. Mots dits, parlés, scandés, slamés que la musique escorte…
C’est l’occasion de rappeler une évidence, sans vouloir revenir à des objets de discorde : la nécessaire compréhension du texte. Parce que le mot a sa résonance, sa musique – ce qui est une certitude ! – suffirait-il de se laisser porter par ses sonorités, par sa musique ? Or, il arrive que le manque d’articulation, voire l’intensité sonore, soit carrément un obstacle à mon émotion, tout comme d’ailleurs la présence des machines, des fils, des boutons, des curseurs qui peuvent dresser une barrière entre l’interprète et moi. Tous n’ont pas encore acquis la dextérité d’un Dani Terreur (Pic d’argent 2017) qui reste « connecté » au spectateur, à ses machines et à sa guitare électrique tout à la fois ! Un concert mené tambour battant pendant les délibérations de la demi-finale.
Deux moments de grâce
Samedi, jour de finale.
Deux moments hors concerts marqueront pour moi cette deuxième journée. D’abord la promenade au jardin Massey, joyau de la ville de Tarbes, qui m’offre, généreux, sa sérénité matinale et son incroyable beauté de jardin à l’anglaise. Comme une enclave, un abri dans la ville où pédalent les petits cyclistes chers à la chanteuse Clio.
Ensuite, dans l’après-midi, un rendez-vous en librairie avec Cali, parrain de cette édition. Un avion vient de l’amener – avec du retard – de Genève où il chantait hier soir… En quelques secondes pourtant il s’installe à la table pour dédicacer son livre, immédiatement disponible, charmant. Je suis en début de file – j’ai attendu une heure. Oui, j’avoue, je joue la groupie. Arrivée devant lui, je suis happée par son sourire, ses yeux si profondément bleus. J’ai en tête les premières pages de son livre, son chagrin de petit Bruno de six ans confronté à la disparition de sa mère. On parle de ses amis, du précieux Alain Navarro (Pause Guitare) qu’il retrouve ce soir, de son pote (et le mien !) Davy Kilembé. Il me promet de lui parler de notre rencontre bientôt. J’évoque la chronique que j’ai écrite sur son solo. Il veut la lire. Je plonge dans mon sac, lui tends ma carte de visite pendant qu’il trace un grand cœur sur la page de garde, autour du titre, Seuls les enfants savent aimer. Il écrit de sa main gauche des mots affectueux, géants, tout en arabesques. Cet échange ne dure que quelques minutes mais je m’éloigne chamboulée, éblouie par tant de simplicité et de gentillesse. Une vraie groupie.
La victoire des mots dits
Vient l’heure enfin de la soirée qui décidera de l’attribution des prix. Pour les neufs candidats retenus c’est l’heure de tous les risques, parfois même du risque de se perdre à trop vouloir prouver, convaincre… Bref, certaines prestations perdent de leur envoûtement et d’autres au contraire nous mettent l’estocade comme cette expression corporelle, cette danse, qu’exécutent Lombre ou Zoé Simpson. Tout à coup les mots mêmes ne suffisent plus.
Les deux premiers prix sont finalement attribués par le jury à deux garçons qui portent haut la force des mots dits et s’appuient sur l’électronique : Lombre (Pic d’or) et SiAu (Pic d’argent).
Gervaise remporte sans surprise le prix du public qui n’a pas résisté au personnage de femme fatale dont elle a endossé le rôle, exactement comme ce fut le cas au Prix Moustaki. Certes c’est redoutablement efficace, mais je me pose des questions sur les ressorts de ce succès, bien éloignés du poing levé de la veille… Le combat des femmes n’est pas près de s’achever. En deux chansons j’ai perdu un petit bout de mon enthousiasme de la veille pour les filles chantantes… Dommage !
Quand s’achèvent ces quarante huit heures en suspension dans la création, l’écriture, la musique, j’ai le cœur chaviré, mon horloge intérieure en total décalage. Pour contrer mon insomnie, dans ma chambre d’hôtel, j’écris. Je pose mon regard, mon ressenti sur ces découvertes, sur cet évènement anobli par le prestige – mais si ! – des membres du jury (voir la liste plus bas) et surtout par l’indéniable qualité de cette édition 2018.
L’atterrissage sera pour demain avec, en mémoire, les mots de Cali prononcés en clôture de ce Pic d’Or : il faut écrire… Ecrire une lettre, un journal, un roman, un poème, une chanson… mais écrire !
Palmarès 2018
Pic d’Or : Lombre
Pic d’argent : SiAu
Prix du texte : Nirman
Prix de la Musique : Zoé Simpson
Prix d’interprétation et Magazine FrancoFans : Centaure
Prix du public et du Cartel Bigourdan : Gervaise
Prix de l’Académie Charles Cros : Lembe Lokk
Jury 2018
Arnold Turboust (auteur, compositeur, interprète, président du jury) Thierry Dupin (programmateur musical France Inter) Olivier Bas (Studio des Variétés) Alain et Annie Navarro (festival Pause Guitare) Patrice Demailly (Libération /RFI) Thierry Lecamp (agence D‑LI‑K) Caroline Guaine (Mégaphone Tour) Dominique Janin (Fédération des festivals de chanson francophone) François Alquier (journaliste, écrivain) Stéphanie Berrebi (magazine FancoFans) Jean-Marc Vaudagne (Académie Charles Cros) Isabelle Young (France Bleue)